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  • CHRONIQUES DE POURPRE 475 : KR'TNT ! 475 : EMITT RHODES / MARK LANEGAN / ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN / E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYTION / THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 475

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 09 / 20

    EMITT RHODES / MARK LANEGAN

    ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN

    E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYCTION

    THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION

     

    On the Rhodes again - Part Two

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    L’un des secrets les mieux gardés du rock américain vient de tirer sa révérence. Adieu Emitt Rhodes. Bon, c’est vrai, KRTNT en a déjà beurré un grosse tartine en octobre 2018, alors on ne va rebeurrer la même tartine, quoi que ce n’est pas l’envie qui manque. Beurrer est un plaisir. Dans son hit-parade, Jimmy Doyle classe le beurrage aussitôt après la scène et la baise. Il suffit de fermer les yeux pour sentir le parfum d’une large tranche taillée au laguiole dans une miche aveyronnaise et qu’on beurre abondamment avant de la diriger vers une paire de lèvres humides et frémissantes.

    Soumis à une pression commerciale terrible dans les années 70, Emitt s’était retiré du music business. Il dit avoir failli en crever. Ce reclusive pop polymath, comme le qualifie Paul Myers, refit surface 43 ans plus tard avec un album remarquable, Rainbow Ends. Pour saluer sa mémoire, ressortons de l’étagère ce chef-d’œuvre éminemment emittien.

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    On peut affirmer sans risquer de tomber dans l’emphase qu’Emitt Rhodes est un spécialiste des coups de génie, au même titre que Brian Wilson et Todd Rundgren, Burt Bacharach ou Jimmy Webb. Il propose une pop orchestrée et sensible qui n’en finit plus de surprendre, même lorsqu’on croit que la messe est dite depuis longtemps. Comme la littérature ou les beaux arts, la pop a encore de beaux jours devant elle, rassurez-vous. La pop de ces gens-là paraît souvent sophistiquée et évidente à la fois, on y sent une grande aisance qui est sûrement le fruit d’un travail acharné. Pas de meilleure illustration de cette théorie branlante qu’«If I Knew Then», un cut de pop étrange et solide à la fois. En fluidifiant son swing, Emitt embarque sa pop au paradis. Comme Brian Wilson, il crée son monde, il développe une énergie capiteuse dont on s’abreuve comme au sortir d’un désert, à s’en écarteler les mandibules. On s’étonne d’une beauté aussi mirifique après 43 ans de silence. C’est là qu’on tombe dans le panneau du lieu commun : les génies n’ont pas besoin de pratiquer, ils entendent et il leur suffit de chanter ce qu’ils entendent. C’est en tous les cas ce qu’on racontait au lycée quand on parlait de Brian Wilson. Du temps où on était comme Jacky, beaux et cons à la fois.

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    C’est avec «Dog On A Chain» qu’Emitt ouvre son beautiful bal. On ne se méfie pas, on se dit oh bah d’accord, encore un vieux has-been qui a besoin de blé pour s’acheter une tondeuse à gazon et pouf, ça explose au deuxième couplet. Emitt gratte tout simplement ce qu’on appelle les accords du paradis. En plus c’est une chanson autobiographique : le chien en laisse, c’est lui- I was led like a dog on my knees - On comprend pourquoi on le voit pleurer sur la pochette. L’autre coup de Jarnac s’appelle «This Wall Between Us». Le mur lui sert de prétexte à dérive. Il crée un courant mélodique énorme qui l’emporte vers le large. Il se demande s’il peut lire dans les pensées de sa copine. Non. Pourquoi ? Parce qu’il y a un mur entre eux. Rien n’est de pire que de partager la vie d’une personne dont on ne peut lire les pensées. Il est important de préciser à ce stade de l’évolution des choses que ce sont les musiciens de Brian Wilson qui accompagnent Emitt Rhodes. Avec «Someone Else», il passe à la heavy pop, comme au temps béni oui-oui du Merry-Go-Round. Rocky Rhodes ne chante que des hits faramineux. Il ne se mouche pas dans la dentelle de Calais. Il pianote «I Can’t Tell My Heart» au clair de la lune et endort notre méfiance. Grave erreur, car il fait sauter le pont de la rivière Kwaï et dans ce badaboum extraordinaire flotte l’esprit de Burt Bacharach. Il faut bien comprendre que cette pop prétend au trône en permanence. Aux noms de Phil Spector, Brian Wilson, Todd Rundgren, Jimmy Webb, Burt Bacharach, John Lennon, il faut ajouter celui d’Emitt Rhodes. Avec «It’s All Behind Us Now», il fait son Doctor John, privilège de l’âge. Groove de rêve. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre, il épuise la beauté angélique. Il descend au plus profond de l’âme humaine et ses arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. Back to the heavy pop avec un «Friday’s Love» explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives qu’il secrète. Il est l’artiste dont on rêve. Cet album inestimable s’achève avec le morceau titre, un cut septentrional qui se réclame du jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. Ça s’adresse à l’intellect. On sent que brûle en lui une sorte de feu à la Brel, il cherche en permanence à fabriquer la chanson parfaite. Son always chasing rainbows explose. Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits dans un infini de beauté. Avant lui, peu de gens avaient osé. On ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime.

    Signé : Cazengler, Emitteux

    Emitt Rhodes. Disparu le 19 juillet 2020

    Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

     

    Lanegan à tous les coups

    - Part Four

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    Si Mark Lanegan continue comme ça, il va battre tous les records de Parts sur KRTNT. Cet homme qui ne fait aucun effort pour se montrer agréable n’en finit plus de nous gaver de son génie. On peinait à ingurgiter sa longue litanie d’albums empoisonnés, voilà maintenant qu’il propose trois cent pages de prose tête-dans-le-cul et aussi gonflée d’abcès que la peau de ses avant-bras. Oh bien sûr, ni lui ni personne ne nous oblige à lire ce texte aussi déplaisant qu’une violente crise d’hémorroïdes, mais quand on est accro à une dope qui s’appelle Lanegan, il n’est pas possible de faire comme si ce livre n’existait pas. Le book s’intitule Sing Backwards and Weep: A Memoir. Le pire est que Lanegan écrit aussi bien qu’il chante, alors forcément, c’est gagné d’avance. Et le pire du pire, c’est qu’il sort un nouvel album en même temps que cette autobiographie qui raconte page après page la véritable histoire d’un fabuleux chemin de croix. Il faut l’avoir lu pour savoir qu’une telle descente aux enfers existe. Mais c’est une descente aux enfers rock, c’est-à-dire de l’art. Lanegan a compris comme d’autres avant lui qu’il pouvait faire de sa vie une œuvre d’art, pardon, une dark œuvre d’art, mais pour que ça vaille la peine, il faut y mettre le paquet. Comme Johnny Thunders, Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain, ça passe par l’hero et tout le trash qui va avec, les veines, les vices, les aiguilles et les embrouilles. Encore une fois, rien n’est ici condamnable, puisqu’on est dans l’art. C’est ce qu’il faut essayer de comprendre. L’artiste se met en danger pour la seule beauté de son art : ici, un vécu de rockstar. On imagine qu’Artaud, Rimbaud et William Burroughs se sont mis pareillement en danger pour la seule beauté du geste. On pourrait ressortir tous les clichés littéraires et tous ceux de l’histoire de l’art pour illustrer cette théorie que défend Nina Antonia dans son Thunders Book, In Cold Blood : le junkie ne met que sa vie en danger, rien d’autre. Alors, demande-t-elle, où est le problème ? L’art et la morale n’ont jamais su faire bon ménage. Ils dorment à l’hôtel des culs tournés. On écoute les disques des Dolls mais on critique Johnny Thunders. C’est là où le bât blesse. Il est vain de croire qu’on puisse détacher l’homme de son art.

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    Parmi tous les récits de junkies, celui de Lanegan figure parmi les plus crus, les plus extrêmes, les plus toxiques. Il ne cache rien de ses travers, de ses actes et de son insondable désespoir. Peut-on seulement imaginer jusqu’où peut nous mener le désespoir ? Non, si on ne le vit pas soi-même. En comparaison de Lanegan, Dostoïevski et Cioran apparaissent comme des petits écrivains pelotonnés qui frissonnent au fond d’une alcôve douillette. Lanegan vit dans la rue et frappe avant qu’on ne le frappe. Comme Johnny Thunders, Lanegan voit la dope comme son seul refuge. Il va même encore plus loin, quand il dit à plusieurs reprises qu’elle est son seul amour, the only one love. Pourquoi son seul amour ? Parce qu’elle ne le fera jamais souffrir. Au contraire. Elle l’empêche de souffrir. Il nous plonge dans le divin chaos des paradoxes. Du coup, ce récit éclaire tous ses albums. On le sentait sombre, le Lanegan. En le lisant, tout devient clair comme de l’eau de roche. En se livrant aussi crûment, il donne une fantastique leçon d’humanité. L’homme est par nature définitivement tordu et c’est bien qu’un mec comme lui ait l’honnêteté de le rappeler en envoyant gicler comme une sorte de pus littéraire les pires détails de desolation row. Wow wow wow.

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    Les pages de ce Précis de Décomposition sont pour la plupart longues et sombres comme des jours sans pain. Il arrive que certaines soient si denses qu’il faille s’y reprendre à deux fois pour venir à bout de cette prose amère et merveilleusement choquante. Là où Dostoïevski nous fatiguait, Lanegan nous exalte. Curieuse sensation d’exaltation : on est littéralement ravi de voir qu’un chanteur qu’on vénère tient fantastiquement la route à l’écrit. Il a ce qu’on appelle un souffle, et il porte un regard si noir sur lui-même qu’on croirait parfois lire les mémoires d’un officier SS ou d’un bagnard, mais il ne s’agit que des mémoires d’une rock star américaine, pas de drame, pas de guerre, pas de fosses communes, juste de l’underground vécu à la va-comme-je-te-pousse, dans un chaos constant de seringues, de coups dans la gueule, de concerts, de sexe, de vols, une ritournelle qui sous une autre plume tournerait à la facétie mais qui sous la plume de Lanegan tourne à l’énormité cabalistique. Il fait partie des écrivains dont on entend la voix au fil des pages, c’est aussi simple que ça. C’est parce qu’il existe un tout petit enregistrement de la voix d’Apollinaire qu’on l’entend quand on lit par exemple le recueil des Lettres À Lou (dont Jean-Louis Trintignant - plus mort que vif à l’époque - fit une lecture dans un petit théâtre de la Madeleine), ou encore Paul Léautaud dont on connaît la voix grâce aux très longs entretiens qu’il accorda jadis à Robert Mallet. Même chose avec Cendrars ou Roger Vailland, ou encore Philippe Sollers (qui errait tel un miraculé dans les miraculeuses Nuits Magnétiques d’Alain Venstein, lisant Rimbaud et Sade), et plus près de nous, un Michel Houellebecq complètement désabusé qui nous parle de sa liberté chèrement acquise dans une interview parue sur DVD. Ce phénomène de voix qu’on entend en cours de lecture ne se produit qu’avec les très grands écrivains, à condition bien sûr qu’ils soient relativement contemporains. Les voix de Montaigne et de la Boetie ? Tintin.

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    Le Lanegan qui se dépeint enfant rappelle un peu l’auto-portrait que brosse Steve Jones dans son autobio, celui d’un gosse foncièrement déterminé à mal tourner. Lanegan n’y va pas de main morte quand il situe les origines de sa famille «dans une lignée de mineurs, bûcherons, trafiquants, fermiers misérables du South Dakota, criminels, forçats, et hillbillies de la pire espèce, celle des plus primitifs et des plus ignorants.» Dès le début de sa carrière, Lanegan sait qu’il n’est pas destiné à devenir un premier de la classe. En plus, il frémit d’horreur à l’idée que sa mère fut à deux doigts de l’appeler Lance. «Lance Lanegan. Je ne peux rien imaginer que plus humiliant et de plus ridicule. Je remercie encore mon père de ne pas avoir autorisé ça.» Et pouf, c’est parti. «À 12 ans, j’étais déjà un joueur compulsif, un alcoolique, un voleur et un amateur de porno. J’avais une énorme collection de magazines porno.» Ado, il passe au tribunal. On l’accuse de «vandalisme, d’effraction de voitures, d’intrusion, de recel, d’alcoolisme précoce, de vol d’alcool, de possession de marijuana, de vol de bicyclettes, de vol de pièces de motos, d’avoir uriné en public, de vol de fûts de bière, de vol d’auto-radios, d’ivresse sur la voie publique, etc.» Lanegan est le roi des énumérations. Il est condamné à 18 mois de prison. Il a 18 ans. Mais le juge lui donne une chance en lui accordant un sursis. Il lui ordonne de s’inscrire dans un centre de remise dans le droit chemin. Lanegan sort libre. Fuck le droit chemin !

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    Il développe très tôt une belle fascination pour la violence. Il apprend à frapper dès qu’on commence à l’importuner. «Le premier coup n’était pas forcément suffisant et la violence devint un autre moyen de communiquer, une langue que j’appris à pratiquer couramment.» Il va en effet la pratiquer toute sa vie, et au moment de la shoote avec Liam Gallagher sur laquelle on reviendra plus loin, Lanegan rappelle son pedigree : «Je suis un vétéran de la violence, extérieure comme domestique, onstage, backstage, à la campagne, en ville, dans les bars, sur les parkings, dans les salles de billard, dans les ruelles, aux arrêts de bus, dans les campings, dans les HLM, sur les trottoirs, dans les fêtes privées, dans les crack houses, les dope houses et les jailhouses.» L’autre aspect déterminant de sa personnalité est le côté sombre, cette dépression latente qui le pousse à boire et à se droguer. Il a toujours l’impression de marcher sur une corde raide dont il va tomber. Ado, Lanegan s’isole, il n’a pas de copains, il n’en veut pas. Il ne dort pas la nuit et dort le jour. Il sort des phrases extraordinaires du style : «I always thought I knew it all, but I was only ever motivated into action by one of two things: pleasure or pain.» (Je croyais tout savoir, mais en vérité les seuls moteurs qui me poussaient à agir étaient le plaisir ou la douleur). Il grandit à Ellensburg, un patelin (cow town) de l’état de Washington, situé à un peu moins de 200 km au sud-est de Seattle. Lanegan y hait profondément les habitants, «les conservateurs ignorants, les fermiers white trash et les éleveurs qui ne font que de parler de la pluie et du beau temps.» Quand il est ado, Lanegan tombe sur la photo d’un mec couvert de tatouages et ça le fascine. Alors il commence à se tatouer avec une aiguille et de l’encre de Chine. Il découvre aussi le rock : un disquaire d’Ellensburg nommé Tim Nelson lui fait écouter «Anarchy In The UK» - It was the revelation that changed my life, instantly and forever - Il flashe aussi sur le Venus Erotica d’Anaïs Nin et commence à cultiver des fantasmes sexuels. «Je ne voulais que de l’excitation, de l’aventure, de la décadence, de la dépravation, je voulais tout, absolument tout.» Mais pour cela, il faut quitter ce trou à rats d’Ellensburg. Et pour y parvenir, il n’a qu’une solution : intégrer un groupe de rock et partir en tournée.

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    C’est Gary Conner qui lui propose de chanter dans les Screaming Trees. Grâce à ce book, on connaît enfin la vraie histoire des Screaming Trees. Le nom nous dit Lanegan vient d’une old Electro-Harmonix guitar pedal called the Screaming Tree. La base du groupe, c’est les deux frères Conner, Gary et Lee. Manque de pot, Lanegan ne s’entend pas bien avec Lee qui est en fait le cerveau du groupe, guitariste et compositeur - It was like talking to a stone - Lee n’a que deux modes de fonctionnement, nous dit Lanegan, muet ou enragé. Lee Conner insulte son père et tape dans la caisse de la boutique familiale. Aux yeux de Lanegan, Lee est un inadapté social - completely inept socially - qui se comporte comme a fucking prima donna, a hillbilly diva who considered himself a genius. Il traitait tout le monde like shit on his shoes. «Comme il n’a aucune vie sociale, il compose quatre chansons par jour.» Lee Conner est un fan de Nuggets - I couldn’t relate to the fakeness of it all - Dans ses textes, Lee décrit des trips de LSD alors que dans la réalité, il n’a jamais pris d’acide ou fumé d’herbe - C’était mon expérience, pas la sienne - Lanegan devra attendre Sweet Oblivion pour découvrir la face cachée de Lee Conner, un homme qui reconnaît le talent de Lanegan et qui lui confie enfin l’écriture des textes. Dans ce passage terriblement émouvant, Lanegan se dit honoré de la confiance de Lee Conner. Et c’est là que les Screaming Trees vont devenir énormes.

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    Les deux frères Conner se foutent sur la gueule. Et quand dans un concert, on traite l’un des frères Conner de gros lard, c’est Lanegan qui descend dans la fosse pour régler le problème - Ce groupe était malade, violent, déprimant, destructeur et dangereux - En plus, Lanegan est furieux car pendant tout le début du groupe, il doit chanter les textes débiles de Lee Conner. Mais les Screaming Trees commencent à tourner et pour Lanegan, c’est l’essentiel : il quitte ce fucking trou à rats d’Ellensburg. Il voyage aux États-Unis et en Europe et se goinfre de tout ce qui passe à portée de sa main : whaterver sex, drugs or money that came my way.

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    Lanegan adore la bonne musique. Il cite comme influences le Velvet, les Saints, Captain Beefheart, les Groundhogs, Kraftwerk, les Dolls, Joy Division, le Gun Club, les Wipers, The Fall, Lou Reed, les Stranglers, Birthday Party, John Cale, Bowie, les Damned et les Stooges. Pas mal, non ? Plus loin il cite deux chanteurs en référence : Falling James des Leavin’ Trains et Chris Newman de Napalm Beach. Il adore aussi le cool, catchy, idiosyncratic primitivism de Beat Happening, et notamment le premier album. Il se dit aussi obsédé par l’Astral Weeks de Van Morrison et par un book de Cormac McCarthy, Blood Meridian. Il rend aussi hommage à Pond, «their music, catchy and energetic with lots of good songs and a couple really spectacular ones». Il parle aussi des Saints comme l’un de ses favorite bands of all time. Quant à Mike Ness, it’s impossible not to dig him - À la différence d’autres musiciens qu’il m’est arrivé de croiser dans ma vie, il n’avait pas la prétention d’être une rock star (there was zero entitled-rock-star bullshit to his personality) What you saw was what you got - Il qualifie Alice In Chains de massive apocalyptic machine onstage et voit son meilleur ami Layne Staley comme l’un des grands chanteurs américains.

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    Mais ses plus grands amis sont les gens qu’il admire : Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain. Lanegan connaît Kurt depuis longtemps et il sait la différence qui existe entre Nirvana et les Screaming Trees - Nirvana était déjà ce qu’ils étaient la première fois que je les ai vus : great songs, great singer, great look, everything - Lanegan finit par comprendre que Kurt le considère comme un big brother. Et dans un élan épique, Lanegan situe Kurt au même niveau que Dylan, Lennon, Bowie et Jimi Hendrix. Et quand les Screaming Trees sont interdits de festival en Angleterre, Kurt menace d’annuler Nirvana à Reading si les Screaming Trees ne figurent pas à l’affiche. Kurt demande aussi à Lanegan s’il veut bien venir chanter avec lui un truc de Lead Belly au MTV Unplugged. Ils avaient déjà bossé «Where Did You Sleep Last Night» ensemble pour un projet avorté. Kurt cherche toujours à faire connaître Lanegan, mais celui-ci ne veut pas entrer dans le rond du projecteur. Il ne veut pas être cet inconnu qui débarque sur un plateau télé avec le groupe le plus célèbre du monde. Alors, il décline l’offre. Dans un moment de détresse intense, Kurt avoue à Lanegan que la célébrité le détruit et ajoute qu’il n’a plus que deux amis dignes de sa confiance, Dylan Carson et lui, Lanegan. Mais Lanegan se sent mal dans ses godasses, car il ne se sent pas à la hauteur - What kind of friend am I really ? - Oui, il a raison de se poser la question, car quand Kurt l’appelle au secours, Lanegan ne décroche pas son téléphone. Il laisse le répondeur. L’horreur - Il a appelé deux fois en deux heures. Même si je me sentais devenir l’ami le plus merdeux du monde, je n’ai pas décroché. Me prenant pour un Oscar Wilde des temps modernes, je suis resté allongé, en calbut sale et dans une robe de chambre tachée que m’avait laissée une copine stripteaseuse - C’est la première fois qu’il avoue cette lâcheté, là, dans ce livre. Il avoue avoir menti à un journaliste de Rolling Stone, lui disant qu’il n’avait pas eu de nouvelles de Kurt pendant les semaines précédant son suicide, alors que Kurt l’appelait au secours.

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    L’autre grand fantôme du livre est Jeffrey Lee Pierce. Lanegan commence par flasher sur la musique du Gun Club - Cette musique faite spécialement pour un mec comme moi. Serial-killer music, music for a lost deviant fucked-up soul like mine ! - Aux yeux de Lanegan, Jeffrey Lee is a dude as fucked as I am - I began my lifelong love affair with the music of an idolization of one Jeffrey Lee Pierce - Les trois albums du Gun Club deviennent sa bible. Il va finir par le rencontrer et par devenir son ami. À un moment, Jeffrey Lee remonte un groupe et propose à Lanegan de chanter dans son groupe. Mais Lanegan refuse - Il n’était pas possible que je chante dans le groupe du meilleur chanteur du monde. Ça n’avait tout simplement pas de sens - Puis comme avec Kurt, Lanegan trouve des messages sur son répondeur : il comprend que Jeffrey Lee perd la raison. En apprenant sa mort, Lanegan suffoque de douleur - No, not Jeffrey - Non, pas le big brother qui m’a ouvert sa vie comme un livre qu’il m’a laissé dévorer, la seule relation de ce type qu’il m’ait été donné de vivre. Not Jeffrey, please. Je croyais que mon cœur allait se briser - Il raconte sa lutte pour ne pas sombrer - I would not fall in clinical despair. J’ai tout fait pour résister. Mais quand le barrage a cédé, j’ai chialé pendant des heures - Et il ajoute : «Je l’avais idolâtré. Sa disparition était irréelle. Je ne pouvais pas croire qu’il était mort. Je sentais que je n’allais pas pouvoir survivre à sa disparition. Comme si j’étais définitivement brisé.»

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    C’est vrai que les plongées introspectives de Lanegan sont parfois vertigineuses. Sans doute est-ce là qu’apparaît l’écrivain, et pas un petit écrivain à la mormoille. Lanegan a du souffle, c’est un prodigieux excavateur. Il se livre à nu et c’est très courageux de sa part. Exemple : il met en avant une personnalité dure et intouchable, mais en réalité, il sent la présence en lui de ce qu’il appelle a thousand forms of fear, c’est-à-dire mille formes de peur, et il sait pertinemment que c’est vrai. Il dit aussi sous forme de boutade laneganienne que la réflexion et l’introspection ne font pas partie de son vocabulaire limité.

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    Il passe un week-end de rêve avec Selene de Seven Year Bitch. Ils ont une petite love affair. Ils sont tous les deux dans la baignoire et elle lui dit à un moment : «Que t’est-il arrivé pour que tu sois si triste ?» - Ça lui fait l’effet d’un coup de marteau - It hit me like a hammer. Même dans les moments de sérénité, Lanegan se sent rattrapé par son passé. Il sent que cette femme lit en lui. Alors il se met à penser à tous les gens auxquels il a fait du mal, ceux qu’il connaît et ceux qu’il ne connaît pas, tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin. Il se sait toxique - In a rare moment of raw, open vulnerability, I started to cry - C’est exactement ce qu’on entend dans certaines de ses chansons : la damnation éternelle - My wasted childhood, my arrogant youth, my anger and obsessions, crime, delusions, self-loathing, paranoia, hopelesness, fury and sad junkie downward spiral - Vertigineux résumé de sa vie foireuse, mais c’est la vie de Lanegan, le plus grand chanteur américain - Si j’étais honnête, je dirais que toute ma vie est une honte, je ne suis rien d’autre d’un raté abject, a fucking shitbag menteur, le pire des junkie losers - Vertigineux aussi les éclairs dans la nuit du manque : «Non seulement l’herbe ne me soulageait pas, mais elle ne faisait qu’accentuer ma douleur. Au cœur de la nuit, je n’avais rien, ni valium, ni benzos, ni méthadone, ni argent, pas d’opiates, rien pour stopper le carnage of this rocket ship of misery. La brutalité du manque était toujours accompagnée par the worst punishing black hole of indescribable hopeless depression. J’entrais dans une spirale, a million-mile-an hour fall. Je me mis à sangloter, mon corps secoué de spasmes toujours plus douloureux avec chaque sanglot. It was torment beyond description.» Avec Lanegan, on se croirait parfois dans les caves de l’Inquisition. Il sait restituer l’horreur de la douleur. Il sait recourir à la prose organique.

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    Et de la même manière que Steve Jones, Lanegan adore se mettre à nu pour se branler : «En raccrochant le téléphone, je souriais stupidement. Je me disais que ma chance grimpait en flèche. Je me levai, sortis ma queue négligée ces derniers temps par le monde entier et me mis à me branler sur la table basse.» Question sexe, Lanegan n’est généralement pas tendre avec lui-même : «Presque toute ma vie sexuelle a été marquée par les conséquences désastreuses ou prophétiques occasionnées par une ou deux heures de plaisir. Ou par cinq minutes de plaisir, dans certains cas.» Et il ajoute quelques pages plus loin : «Je suis un expert pour transformer l’or en ordure.» Il ne passe même pas par le plomb. Gold for garbage directement. Et quand Kim White lui dit que Jeffrey Lee va mourir, Lanegan lui répond : «Nous aussi, un de ces jours.» Et il ajoute, laconique : «That ended the conversation.»

    Tiens encore un exemple du génie dialoguiste de Lanegan :

    — Goddamn it, Scratch! What the fuck did you take me into?

    Old Scratch était le surnom que me donnaient mes vieux amis, an arcane nom de plume of Lucifer himself.

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    Lanegan excelle aussi dans l’art des portraits rock : «J’ai rencontré Paul Bearer quand il chantait dans un groupe de Philadelphie, the Serial Killers. He was a one-of-a-kind dude with a crazy, funny-as-fuck intelligence who shared my fiending, black-hole, all-encompassing love of opiates and all things bizarre.» Lanegan swingue ses phrases comme des paroles de chansons. Il fait aussi un portrait de son brother Layne, en plein crazy-boom de crack. Layne perd les pédales, il voit des araignées partout et ça affecte Lanegan : «La tristesse de le voir dans cet état était au-delà des mots, lui, the sweetest, funniest, more magical and intelligent dude I knew, out of his tree.» Lanegan attache une importance considérable à l’intelligence. Tous ses amis et ses héros le sont : Layne, Kurt, Jeffrey Lee.

    Dans ce livre, on n’en finit plus de croiser ce qu’il faut bien appeler des éclairs de style, là où rock et littérature font des étincelles - C’était une belle aubaine pour trois camés qui n’avaient d’autre ressource que mes chèques sporadiques de royalties, que la vente de crack dans la rue, and wathever we foraged from the occasional breaking-and-entering incident or boosting-and-returning scam - small time junkie shit - Lanegan rocke autant sa langue que Nick Kent, mais avec toute la grandeur du swagger américain. Quand il dit ça - I had to fix sooner than that or else it was going to be a disaster - on se croirait dans un hit des Stones. Il a ces petites phrases de fins de chapitres qui rockent toutes seules.

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    Lanegan apporte aussi des éclairages intéressants sur ses albums, ceux enregistrés avec Screaming Trees, puis ceux de sa carrière solo. Sweet Oblivion est l’album qui dit-il faillit faire entrer les Trees dans le mainstream. Lanegan parle d’organically classic rock feel et salue au passage Don Flemming et John Agnello, le producteur et l’ingé-son de l’album. Pour Dust, Lanegan visait la perfection : il voulait que l’album se situe au niveau d’Astral Weeks, de Trout Mask Replica ou de Starsailor, a wholly original piece of music that could not be compared to anything other than itself. On peut dire qu’il a réussi son coup. On ne dira jamais assez à quel point Dust est indispensable. C’est George Drakoulias qui produit ce chef-d’œuvre. Lanegan sait qu’il chante pour la dernière fois dans les Trees. En fait, il ne peut plus les supporter. Il rappelle aussi que les gens de SubPop lui ont baisé la gueule à la parution de son premier album solo, The Winding Sheet, en ornant la pochette d’un portrait que Lanegan détestait. Fou de rage, Lanegan est allé trouver Bruce Pavitt dans son bureau pour lui démonter la gueule, mais il s’est retenu au dernier moment : «Eat shit Bruce. You don’t know how lucky you just got.»

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    Tout cela est bien joli, mais il manque le personnage principal de ce puissant récit : la dope. Sans sa chère dope, Lanegan n’est rien. La dope en fait un roi et le met à genoux en même temps. Il ne cache rien de sa consommation massive. Sex and drugs and rock’n’roll ? Come on in... «Cherchant désespérément à éviter les ravages causés par mon alcoolisme incontrôlable, j’ai commencé à bricoler avec l’hero. Je voulais absolument arrêter de boire et cesser de commettre toutes ces horreurs. J’y parvins grâce à l’hero and I picked up a small habit pretty quiclky.» Plus loin il ajoute : «Par rapport à l’alcool, l’hero avait tous les avantages : je n’avais pas de black-out, je ne me battais plus, je n’avais plus de gueule de bois ni de réveil dans des situations embarrassantes. L’hero me relaxait et calmait my always screaming mind.» Grâce à cette aventure de dope-craze, Lanegan va faire de subtiles rencontres : «Début 1993, nous allâmes de nouveau en Europe jouer en première partie d’Alice In Chains. Layne et moi avions fait notre last shot dans les toilettes de l’avion et en arrivant à Londres, on était déjà en manque. Notre connexion londonienne était un Américain vivant à Londres, Craig Pike. Il avait joué de la basse pour Iggy Pop et en jouait alors pour Thee Hypnotics. Il vivait dans un grand squat décrépit, il n’y avait ni eau courante ni électricité. Il vendait de la dope pour se payer la sienne. Même si j’aimais bien Craig, je trouvais son destin pathétique. En aucun cas j’aurais voulu sombrer à ce niveau de déchéance, you could fucking count on that.» Puis Lanegan raconte que Layne, lui et un autre mec utilisent la même seringue et qu’ils l’affûtent de temps en temps sur un grattoir de boîte d’allumettes, comme un vieux couteau sur une pierre à aiguiser. Lanegan n’est pas avare de détails sordides, mais il a raison, car il touche avec ça au summum du trash, c’est-à-dire tout ce que le corps peut encaisser dès lors qu’il s’agit d’atteindre les paradis artificiels. Il évoque aussi les gens bizarres qu’on croise dans ce milieu, «the company of unsavory, damaged or borderline dangerous people, some of them legitimately out of their minds. Des gens qu’on ne fréquenterait d’aucune manière.» Lanegan sort aussi les chiffres, c’est important les chiffres, dans ce type d’épopée : «Mon addiction était prioritaire en tout. Je consommais un ou deux grammes d’hero par jour, et ça me coûtait 150 ou 200 $, ça dépendait du vendeur. Je faisais un fix chaque soir et je gardais de quoi me shooter à mon réveil.» Et de fix en aiguille, Lanegan finit par trouver son true love, l’hero : «Personne n’aurait pu m’arrêter maintenant que j’avais trouvé my one true love, the only peace of mind I’d ever had.» Une paix de l’esprit qu’il doit payer au prix fort, mais quand on aime, on ne compte pas. Et voilà qu’il développe, pour qu’on comprenne bien : «L’hero m’a sauvé la vie. J’ai pu stopper les horreurs engendrées par l’alcoolisme, un alcoolisme puissant comme un train et contre lequel je ne pouvais rien. L’hero avait calmé la tempête sous mon crâne et tu cette voix qui me répétait sans cesse que j’étais un vrai tas de merde. L’hero avait balayé toutes les angoisses qui m’empêchaient de dormir. L’hero m’a aussi débarrassé des sentiments de perte, de regret, de chagrin, de ressentiment, mais aussi de la haine brûlante et du dégoût profond que j’éprouvais non seulement envers moi-même mais aussi envers les autres.» Lanegan aime aussi à se comparer à une poubelle, disant qu’il se tapait n’importe quelle dope disponible - When it came to heroin, tough, I was a purist - Avec Layne, ils tapent aussi dans la coke et parfois mélangent coke et hero : speedball. Ils s’imposent alors un silence absolu - The explosion as the coke hit our brains était le but et n’importe quel bruit aurait ruiné l’effet - Il évoque bien sûr le crack boom hue, mais c’est pour en dire du mal : «Dès le premier hit, j’ai compris que le crack allait avoir ma peau. Au début, Layne essayait de m’y initier, mais je déclinais en lui disant no thanks bro, j’ai déjà assez de problèmes comme ça. J’étais pourtant un junkie aguerri mais le crack a fini par me mettre à genoux. Je fumais tout le temps, toute la journée, toute la nuit.» Au fil du temps, Lanegan observe une curieuse transformation : s’il se shoote jour après jour, ce n’est plus pour s’envoyer en l’air, forget about that, c’est juste pour aller bien, in order to just stay well. Il veille à utiliser le moindre grain et il se met aussi à chercher du crack dans la rue - I also needed crack, since I was obviously a fucking degenerate crackhead also - Il n’est pas non plus avare de détails croustillants sur les joies du manque : «Je ne pus me retenir. Je vomis si brutalement que j’en tombai à genoux, puis sur le ventre. Comme je n’avais rien mangé depuis deux jours, je vomissais de grosses quantités de bile noire.» L’un des passages les plus spectaculaires du livre est celui où Lanegan raconte une nuit de cauchemar à Amsterdam. Il va acheter de la dope en pleine nuit, là où se trouvent les dealers et il se fait rouler : rentré à l’hôtel, le fix qu’il se fait ne marche pas. Quand il y retourne, il se fait braquer. Il tombe dans les pommes et c’est un vieil original qui le ramasse et qui l’emmène sur son vélo chez lui pour lui proposer un fix de secours. Lanegan sait narrer ses aventures, on en savoure le moindre gramme.

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    L’autre épisode tragi-comique est la fameuse rencontre avec Liam Gallagher, lors d’une tournée américaine qui propose les Trees et Oasis à la même affiche. Liam vient trouver Lanegan, escorté par deux gardes du corps. Lanegan est en train de manger et Liam lui lance : «Howling branches!». Il se croit drôle. Lanegan ne lui répond pas. Liam insiste : «Howling branches?» - Le mauvais jeu de mots sur mon groupe et sa brutale intrusion dans la pièce commençaient doucement à m’irriter - Alors Lanegan fait son Lanegan et rétorque : «Fuck off you stupid fucking idiot !». Lanegan apporte tout de même une précision importante : «Dans le coin d’où je viens, un mec comme ça ne vivrait pas longtemps en se comportant ainsi. Il finirait pas disparaître sans laisser de traces.» Fin psychologue, Lanegan voit Gallagher «comme un kid en culotte courte, un beau jour d’été, secouant sa minuscule petit bite alors qu’il fait griller des fourmis sous une loupe.» Il a raison de le remettre à sa place et d’épingler son arrogance. La tournée se poursuit, émaillée par certains incidents. Lanegan recroise Liam qui lui annonce qu’il va lui régler son compte à Miami, où est prévu le dernier concert de la tournée. Lanegan n’attend que ça. Mais Liam quitte à la fois la tournée et Oasis juste avant la dernière date à Miami et Lanegan voit sa vengeance lui échapper. Il est furieux - That phony motherfucker avait pissé dans son froc et il était rentré chez sa maman avant que je puisse lui démonter la gueule.

    Le récit s’achève sur un court paragraphe en forme de rédemption. Lanegan se réveille dans une chambre d’hôpital et par chance, il ne fait pas son Cash, il nous épargne le couplet sur Dieu. C’est Courntey Love qui l’aide à s’en sortir.

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    L’empire de Lanegan s’étend jusqu’à son nouvel album, Straight Songs Of Sorrow. Il met sa main tatouée bien en évidence, pour le cas où on aurait pas remarqué ses deux séries d’étoiles. À l’intérieur du gatefold, on le voit assis portant ses lunettes de vieux junkie et fumant sa clope. Welcome back in the dark world avec l’habituel cocktail de drug-songs et de coups de génie. On en compte pas moins de deux, à commencer par «Internal Hourglass Discussion», un cut d’esprit free, pas loin du mambo beefheartien, c’est une drug-song de dérive urbaine drivée au story-telling de spirit déjanté. Tout aussi fascinant, voilà «Ballad Of The Dying Rover» avec un son plus electro, le vieux loup garou pousse en avant sa tendance moderniste - I’m just a man/ Just a sick sick man - Il chante à l’inhérence du désespoir le plus profond, avec une voix de desperado - Death is my due - Dark genius.

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    Il ouvre son bal d’A avec l’infernal «I Wouldn’t Want To Say» qu’il chante à contre-courant d’un hard drive de machines. Il chante at the top of his lungs, c’est très tendu, il shake les muddy waters des temps modernes, peu de gens sont capables de créer un tel doom en quelques minutes. Effarant. On tombe un peu plus loin sur un balladif morbide qu’il chante en duo avec Shelley Brien : «This Game Of Love». Ils échangent leurs vers comme des amants de la pleine lune, et ça nous rappelle l’ambiance d’Higelin au temps où il demandait à Brigitte Fontaine où était «cet enfant que je t’avais fait». Ils sont dans le même trip de perdition - Am I gonna lose this game of love - S’ensuit une superbe drug-song dans l’esprit du génial «Methamphetamine Blues» qu’on trouvait sur Bubblegum. Cette fois, il nous sert un shoot de «Ketamine» - Ketamine/ So I can feel alright - Lanegan est un expert en matière de Connaissance par les Gouffres - To plant my flag on distant shores/ And take me through the night - Il fait partie de ceux qui savant poétiser la dope sans tomber dans le misérabilisme médical. En B, on va tomber sur la plus funèbre des complaintes, «Churchbells, Ghosts» - Here I am/ I’m disappearing - Il implore Lord de l’aider - Lord help me now I’m going down - On a là the desperate song par excellence - Lord don’t you hear me cryin’/ Lord don’t you hear me saying goodbye - Mais on le sait tous, Lord n’écoute pas les hommes car ils les a tous condamnés à mort. Le «Skeleton Key» qui ouvre le bal de la C vaut aussi le détour, car Lanegan démarre sur l’ugly - Ugly/ I’m so very ungly - Voilà encore un mélopif envenimé et profondément humide. Lanegan swingue son chant sur le skeleton key - I will sing/ to you/ a sweet straight song/ of sorrow - il met du jus de bave dans chaque syllabe et il boucle cette sombre affaire avec «Eden Lost And Found», où il duette avec Simon Bonney, le mec de Crime & The City Solution. Du coup, Bonney paraît bien léger. Lanegan par contre ramène son daylight is coming et se perd à nouveau dans le concrete city, et tout le monde, prophétise-t-il, sera libre (après la mort).

    Signé : Cazengler, Lanegan vraiment pas à être connu

    Mark Lanegan. Sing Backwards and Weep: A Memoir. Hachette Books 2020

    Mark Lanegan. Straight Songs Of Sorrow. Heavenly 2020

     

    ROCKABILLY GENERATION

    ( H. S. N° 2 / Juillet 2020 )

    SPECIAL CRAZY CAVAN

    LE ROI DES TEDDY BOYS

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    Le numéro que l'on n'aurait pas aimé avoir à lire. Ce n'est pas que nous détestons Crazy Cavan. Loin de là. Au printemps dernier nous étions tous heureux du premier numéro Spécial Gene Vincent. Nous souhaitions bien qu'il y en eût un deuxième, et un troisième, et d'autres encore. Que l'un d'entre eux fût consacré un jour ou l'autre à Crazy Cavan, c'était dans l'ordre logique des choses vu l'importance du personnage. Mais pas en ces circonstances dramatiques.

    Remercions Sergio Kazh d'avoir pressé la nécessité de ce numéro hommagial au roi des Teddy Boys dès l'annonce de sa disparition. Le milieu rockabilly français a répondu à l'appel, le résultat en est un bel objet de cinquante-deux pages, magnifiquement illustrées, dans lesquelles se succèdent des témoignages de première main et diablement émouvants. Qui nous permettent de connaître autant le musicien que l'homme.

    Tony Marlow nous raconte disque par disque, date par date, la carrière de Crazy Cavan, très vite accompagné de ses Rhythm Rockers. Cavan réussit ce miracle de perpétuer la tradition rock tout en la renouvelant de fond en comble. D'allier la fidélité aux origines sans aucun passéisme. Cavan fut un créateur. Une belle voix, certes mais cela ne suffit pas, sans l'étincelle qui redonne vie à la glaise morte vous n'obtenez que des copies. Qui ne valent en rien l'original. Cavan et son orchestre, c'est avant tout un rythme particulier infligé au vieux rock. Qui le transforme de fond en comble tout en l'inscrivant dans une continuité étonnante. Ce balancement si caractéristique de sa musique, certains pour faire vite et user d'une formule à l'emporte-pièce le définiront comme la rythmique ted ce qui veut dire beaucoup, par exemple que Cavan a influencé énormément de monde, et ne rien signifier car la patte Cavan si elle en a inspiré bon nombre de groupes reste unique et irremplaçable. Cavan et ses boys ont une manière primordiale de s'approprier le morceau qu'ils sont en train de jouer, des fauves qui mordent à pleins gosiers une proie pantelante, qui ne desserrent jamais leur mâchoires, qui avancent par saccades gloutonnes et méthodiques. Un festin de roi, un acte barbare, rituel et sacré.

    Cette façon de faire, ce n'est ni plus ni moins que l'autre réponse britannique apporté aux rock'n'roll américain initial. Dans les années soixante, il paraissait évident à la plupart des jeunes anglais que pour produire un rock'n'roll authentique national la solution s'imposait d'elle-même : l'infusion d'une bonne dose de blues dans le legs des pionniers. Seule une petite frange s'opposa à cette manière de voir. Un peu en pure perte. Se perdaient dans l'adoration stérile d'idoles vieillissantes et dépassées... Cavan survint qui dynamisa et même dynamita à sa matière le bon vieux rock'n'roll des oldies et donna naissance à un phénoménal renouveau qui reçut le nom de rockabilly.

    Dans son article Tony Marlow ne manque pas d'évoquer les relations de Crazy Cavan avec notre pays. Les premiers disques du roi des Teds furent accueillis avec ferveur par une poignée de fans français – Tony et les Rockin' Rebels en premières lignes – ces primitives étincelles mirent le feu à toute la plaine, toute une nouvelle génération se passionna au début des eighties pour le rockabilly. Cette passion fut aussi confortée par l'apparition des Stray Cats. Aujourd'hui encore le milieu rockabilly reste avec les amateurs de punk et les fans de metal une des composantes essentielles du public et des formations du rock français.

    Crazy Cavan continua son chemin sans aucun reniement, fidèle à sa musique jusqu'au bout. Le 18 janvier 2020 il était encore sur scène à la 37 th Rockers Reunion à Reading donnant une prestation de vitalité étonnante, l'équipe de Rockabilly Generation était bien sûr présente, Sergo Kazh nous offre quelques dernières photos inédites.

    Le long article de Tony, abondamment illustré emplit la moitié de la revue, Marlow scrute avant tout le musicien, ne s'en dévoile pas moins au travers de quelques confidences et réflexions personnelles du Marlou le portrait d'un homme entier qui ne correspond en rien à ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

    L'individu Cavan ne court ni après la gloriole, ni après l'esbroufe du fric. Les témoignages de Jean-Jacques Astruc qui l'a beaucoup suivi sur la route durant ses pérégrinations européennes, et de Jackie Chalard, personnage incontournable du rock'n'roll français et créateur du label Big Beat, ne manquent ni de sel ni de péripéties jouissives, mais au-delà des anecdotes ils révèlent avant tout un personnage étonnamment proche de ce qu'il est, se refusant à jouer un rôle qui ne lui correspondrait pas. Cavan semble se suffire à lui-même. Crazy le fou cache Cavan le sage. Beaucoup de bière et le respect des fans. Point barre. Une famille qui l'attend pendant que lui parcourt les routes monotones du rock'n'roll. La folie sur scène est son seul tribut au rock'n'roll. Un homme sûr de lui et attentif aux autres. Brayan qui interviewa Cavan pour la quatrième livraison de Rockabilly Generation alors qu'il n'avait que quinze ans, nous livre son ultime entretien avec Cavan quelques semaines avant sa disparition, il nous fait part de la gentillesse et l'attention que toujours l'idole lui réserva lors de leurs rencontres. Si certains l'ont nommé le roi des Teddy Boys, le représentant des ultimes rebelles fait preuve en ses dernières paroles d'une merveilleuse fidélité envers son propre milieu et d'une radicalité empreinte de sérénité face à la vie et à la mort.

    Un grand rocker, une belle personne.

    Ce numéro spécial de Rockabilly Generation est un des fascicules les mieux réussis et des plus émotionnant que l'édition rock française ait consacré à l'un de ses artistes les plus authentiques.

    Cavan vivant.

    Damie Chad.

    Tirage : 150 exemplaires en français + 150 exemplaires en anglais

    Commande : numéro + port = 12 E + 1, 50 E = 13, 50 E

    Chèque : à l'ordre de Rockabilly Generation , 1 A avenue du canal, 91700 Sainte Geneviève des Bois

    Paypal : adressé à maryse.lecoultre@gmail.com

     

    CHÂTEAU-THIERRY

    ( PUB LE BACCHUS / 04 - 09 – 2020 )

    METAL NIGHT IN A WORLD OF CHAOS

    E-RUINS / BUNKER PROJECT

    HEAVYCTION

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    Mercredi sur le fil du FB deux concerts annoncés en région parisienne que j'ai repérés la veille annulés, jeudi au premier regard un nouveau concert à l'eau. Vendredi je n'ose plus regarder, juste un coup d'œil avant de partir, non le concert au Bacchus de Château-Thierry est maintenu, à peine croyable, la teuf-teuf fonce au travers de la Marne désertique. Trois groupes un même soir après deux mois d'abstinence, serait-ce un mirage ou un miracle ? Une aubaine sûrement ! A ne manquer sous aucun prétexte. Je ne suis pas le seul à bondir sur l'occasion. Le pub est rempli, ça déborde même dans la rue. Les plus heureux sont encore les trois groupes, enfin remonter sur scène ! L'on ne comptera pas les remerciements émus et reconnaissants à Sabine toute modeste qui prend tous les risques comme si de rien n'était. Au dernier concert de juin nous étions au Bacchus, en septembre nous revenons – quel hasard - au Bacchus, les îlots de résistance à l'étouffoir généralisé sont rares... Presque un mini-festival, et du metal bien bruiteux encore, que pourrait demander de plus le peuple rock !

    E-RUINS

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    Z'ont bien choisi leur nom, après leur passage le monde vous semblera transformé en un champ de ruines. Fumantes. Ne vous demandez pas pourquoi la grande carcasse de Begood et sa batterie squattent les neuf dixièmes de la scène, jusqu'à lors le gars avait une allure joviale et sympathique. En règle générale les groupes trash ne débutent pas par une resucée de la petite musique de nuit de Mozart jouée en mineur à la flûte de Pan, le spectateur le moins chevronné s'attend au minimum à un cataclysme. Mais là, en un dixième de seconde, la terre bascule sur son axe, vous reculez de trente mille ans dans les temps préhistoriques, bye bye Begood, n'existe plus, peut-être n'avez-vous jamais accordé la moindre créance aux élucubrations modernes sur le shamanisme, mais la bête est là, une espèce de raptaxtorix a surgi de sa caverne en un éboulement terrifiant de rochers, le sol tremble, votre cœur s'arrête, la gélatine de votre cerveau s'écoule de vos oreilles, mais cela ne serait rien s'il n'y avait pas en la même fraction de seconde ce hurlement dévastateur de haine pure qui déracine les arbres et assèche votre sang. Dans la salle c'est l'exultation, ça se bouscule à qui mieux-mieux, le souffle fétide de la colère et de la liberté vous emporte en un vaste tourbillon. N'ayez crainte, ce n'est que Begood qui cogne ses fûts et qui rugit dans son micro d'aviateur scotché sur sa bouche. Tout devant T-Die esquisse un léger sourire, comme si de rien n'était. Vous passe des riffs assassins à travers le corps destinés çà vous découper en tranches de l'air innocent du gars qui beurre sa biscotte au petit déjeuner. A ses côtés Kevin, un fameux hypocrite, un air rêveur d'adolescent inoffensif perdu dans ses dreads, il nous fait le coup du sage peu concerné par ce qui se passe prêt à renter en méditation yogique mais ses doigts malaxent sa basse dans le seul but d'assombrir la noirceur de son époque.

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    Livio n'a pas de guitare mais un trident triangulaire destiné à torturer les chairs, à triturer les tripes, et à prolonger l'agonique sauvagerie de la masse sonore qui vous écrase. Pas besoin d'explorer les lyrics qu'éructe Begood, leurs titres suffisent, Rebellion, Made in Hell, The blood will flow, You suffer, See you dead... E-Ruins clame sa colère et son dégoût, si fort, avec une telle violence que l'on ne s'étonne pas du nombre des fans et des connaisseurs qui sont venus pour les voir une fois de plus sur scène. Une claque monstrueuse, un set de folie à haut niveau d'incandescence, E-Ruins triomphe sans peine. Le set terminé, nos quatre chevaliers de l'apocalypse, redeviennent des gens comme nous. Des guerriers du quotidien.

    BUNKER PROJECT

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    En théorie le bunker est une arme défensive, mais le Bunker Project en ont fait une technique offensive d'assaut, avec leur masque à gaz accroché au micro et le haut-parleur que brandit à intervalle le meneur, le Project ressemble à ces cortèges de tête qui ont égayé les manifs parisiennes ces dernières années, vous repérez vite dès les premières mesures qu'ils ont décidé de mettre le sbull un peu partout, jusque dans leur musique, révolte bien ordonnée commence par soi-même. L'avouent benoîtement, ne parlent ni de trash, ni de death mais de metal protéiforme, se servent un peu partout, comme vous prélevez votre dîme dans tous les grands magasins, font de l'auto-réduc musical, ne gardent pas tout pour eux; partagent abondamment, avec vous, vous refilent les meilleurs morceaux, Colère, Terro, Jungle,.. Chez Kr'tnt ! nous n'hésitons lamais à emmener notre propre grain de salpêtre pour apporter quelques lueurs d'éclaircissement à nos lecteurs, nous proposerons le terme de protéino-funk-metal pour définir cet alliage singulier mis au point dans les laboratoires secrets du Bunker Project. Une formule instable de grande dangerosité. A la base un martelage binaire, mais ce serait trop simple, la basse ne tient pas le rôle à laquelle cette binarité initiale devrait en théorie maintenir son assise, elle est d'un velouté appuyé mais déliquescent, elle est partout à la fois, un peu comme ces nuages de gaz lacrymogènes obéissant en leur déploiement à la théorie mathématique des catastrophes et qui par leurs errements de grandes nocivités induisent dans l'esprit du manifestant innocent qui le reçoit dans ses naseaux au moment où il s'y attend le moins un profond instrument d'injustice que les guitares traduisent aussitôt par des giclées enflammées molotoviennes, sur ce la batterie matraque à mort tout azimut et la mêlée s'ensauvage méchamment. Au début du set, l'ambiance est presque gentillette ( tout est relatif ) mais la pompe est amorcée et elle ne tarde pas à fonctionner à plein régime. Brusquement elle s'emballe, le meneur à la sono ne laisse pas ses troupes inactives, et bientôt la machine s'emballe. Gradation exponentielle contenue. Rien ne peut l'arrêter, pas le public transformé en robots déjantés et pas même le Bunker Project qui promet à chaque fois, que cette fois c'est la dernière, mais ils rajoutent une, et une autre, et encore une autre, dans la salle c'est l'extase pléthorique, le Bunker Project libère et explose les frustrations accumulées par des mois de pressions covidiques, c'est la fête finale, sur Siren, distribution générale d'un rhum atomique qui vous tord et les tripes du bas-ventre et les boyaux de vos méninges éclatées dans la tête que vous perdue. Metal libératoire. Bunker Project redynamise la rage de vivre.

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    HEAVYCTION

    Il est des soirs où vous n'êtes pas au bout de vos heureuses surprises. Vous pensez qu'après avoir escaladé l'Annapurna et l'Everest vous ne pourriez jamais grimper plus haut. Erreur corrigible. Heavyction vous propose d'entreprendre l'ascension du Mont Analogue cher à André Daumal. Voyage au pays du rock'n'roll, si vous préférez.

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    Des diables d'hommes. Des magiciens. Se mettent en place en quelques minutes. Deux ou trois pincées de guitare, Jean recule les éléments de sa batterie de quinze centimètres comme s'il assemblait quatre pièces de Lego et le son est en place. Silence. Une dernière fois des doigts fourmillent au-dessus des cordes de guitares muettes et d'un seul coup la porte du rock'n'roll s'ouvre devant vous et vous êtes happé en une autre dimension. Savent jouer. Pas trop longtemps, il se fait tard, peut-être est-ce juste une illusion car vous êtes décollé de la réalité en une fraction de nano-seconde. Défibrillation instantanée de vos neurones. Votre vie défile devant vos yeux. Catalepsie intergalactique. Faut se reprendre et tenter d'analyser. Célérité, cohésion et précision. Une espèce de tourmente qui s'abat sur vous et ne vous lâche plus. C'est ainsi que l'armée de Cambyse a dû être ensevelie dans les sables du désert d'Egypte. Stoned, Death On Arrival, Eternity. Humus de Kumus. Certains titres sonnent comme des épitaphes. Eviction maximum. Samplers tueurs.

    Des guitaristes j'en ai vus et entendus, mais Cédric m'a blufflé, ne joue pas comme les autres, lorsque le morceau est bien parti, il décolle, il ne gratte plus, il souffle de ses cordes une espèce de tourbillon lyrique qui prend et atteint une ampleur démesurée, c'est une onde qui déferle sur vous et vous enveloppe, l'assistance ne s'y trompe pas, une véritable et ininterrompue giclée spermatique de cachalot, une tornade aussi puissante que les quarante violons de Bayreuth lancée à fond de train dans les chevauchées wagnériennes les plus échevelées de la tétralogie.

    A ses côtés son alter-égo. Des faux jumeaux. Amine, le tireur d'élite, au sang froid de reptile. Ne rate jamais sa cible. Qu'il glisse ses doigts dans son cordier ou qu'il morde le vocal au micro, le mec touche à la perfection. Rien de trop et pas un manque. Ce qu'il faut comme vous imaginez qu'il le faudrait dans vos rêves. Le gars manipule la tonitruance des orages les plus tempétueux avec une facilité déconcertante, un doigté minutieux, tous les mots crachés en érection sonore mais aucun ne bouscule le précédent ou n'empiète sur le suivant, des montagnes de grondements qui s'écroulent et puis plus rien, un mince sourire, et retour dans la fournaise avec placidité. Déconcertant.

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    Le dionysiaque et l'apollinien. Entre les deux, Jean, si un tel dénivelé de sensibilité ne produit aucune rupture, c'est qu'il est là, il mène un train effréné, pousse le combo au cul, et en même temps il est tout ouïe à leur jeu. Il sert l'un et il sert l'autre. N'a pas une batterie, mais deux claviers d'orgue, l'un pour les cymbales et l'autre pour les fûts, tape sur les deux en même temps – l'a résolu le cahin-caha de ces groupes expérimentaux à deux batteurs qui à mon humble avis n'ont jamais démontré leur efficacité, mais ceci est une autre histoire - écoutez-le forger et vous comprendrez pourquoi le mot enfer se doit de préférence être employé au pluriel. Côté pile la justesse rythmique, côté face l'intumescence de la frappe. L'acrobatie et la foudre. Le marteau et l'enclume. La grâce et la vitesse. Le métal de la crash et le trash de la résonance. Sidérant.

    Respectons son anonymat, sa tête baissée, son visage invisible recouvert par le rideau impénétrable des deux ailes noires du corbeau de sa chevelure. Un bassiste fidèle au mythe romantique du bass man refermé sur son mutisme. A compris qu'il ne pouvait rentrer dans le jeu du batteur, alors joue dans le moelleux, une herbe opulente où je vous défie de poser le pied, vous le perdriez aspiré par d'insatiables goules souterraines qui se hâteront d'aspirer votre sang, jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce que vos os s'entrechoquent dans le suaire de votre peau vidée de sa substance charnelle. Le baiser infini du vampire.

    Un set magnifique, de toute beauté qui laissa l'assistance exaltée et médusée. De l'orichalque pur. En un mot comme en trois, du rock 'n' roll.

    RETOUR

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    Trois très bons groupes en une seule soirée ! Et en plus dans un monde prêt à tomber dans la nuit du chaos. Certains jours sont à marquer d'une pierre noire ! Tant pis pour les jaloux !

    Damie Chad.

    ( Photos & illustrations  : FB des artistes )

    THE TRUE DUKES

    ( Auto prod / Août 2020 )

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    J'ai mes a priori : un homme qui tout jeune a commencé par lire Edgar Poe ne saurait être totalement mauvais. C'est le cas de Pek Garcia. Non il ne fait pas partie des True Dukes mais c'est lui qui s'est chargé de l'art work de la pochette. L'a fait fort. Très simple, très rock'n'roll. L'a surfé sur la vague. Noire. Non je ne veux pas dire qu'il a suivi la mode. L'a benoîtement mis en relation l'aléa de l'actualité avec le parfum d'insoumission qui flotte autour du concept rock'n'roll.

    C'est F. J. Ossang du groupe MKB Fraction Provisoire qui au début des années 80 proclamait qu'il fallait '' Avancer, se replier, et surtout avancer masqué''. Le système récupère et pervertit toutes les idées. Aujourd'hui nous sommes obligés d'avancer masqués tels des moutons consentants en route vers l'abattoir de la soumission, et nous avons oublié qu'à l'origine le masque est une arme qui permet d'agir en toute illégalité contre les forces répressives...

    Très obéissant Pek a donc mis le masque sur la pochette des True Dukes. N'a laissé que les yeux à découvert. Mais qui brûlent. Comme les pupilles lumineuses des chats de Lovecraft. Des brandons de désobéissance civile. Un appel d'une clarté aveuglante à la révolte. Gamin Pek fabriquait des boucliers ethniques pour se protéger, maintenant qu'il est grand il continue, il a appris que la meilleure défense c'est encore l'attaque, alors il use d'une stratégie subtile, celle de la réversibilité du symbole, retour à l'expéditeur. Une technique vieille comme les Dieux de l'Olympe. Songez au regard de Méduse.

    C'est ici qu'interviennent The True Dukes. Par l'entremise du titre qu'ils ont donné à leur EP. Ne s'agit pas d'être contents de soi sous prétexte que l'on a tiré la langue au Système. Si vous êtes opprimés, ne vous en prenez qu'à vous, vous êtes faibles. Alors au bas de la pochette les lèvres d'ombre vous intiment l'ordre de prendre votre destin en main : Find your soul, lose your mind. Soyez vous-mêmes, n'écoutez personne. Laissez tomber vos ratiocinations émasculatrices. A bons entendeurs, salut.

    Une image qui claque comme un bon coup de pied au cul.

    *

    Message pas du tout subliminal que les Troud'ucs vous envoient gratuitement en pleine tronche. Que voulez-vous face à la bêtise du monde The True Dukes se comportent en grands saigneurs. Il est temps de les écouter.

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    Jean-Yves Bassinot : voix / Christian Kikaï : guitare rythmik / Lead guitar : Eric Chartier / Jean-Luc Vinot : Bass / Michel Dutot : drums /

    Non, ce n'est pas que tout à coup que vous comprenez les subtilités de la langue de Shakespeare et de Milton, c'est que The True Dukes ont choisi la difficulté, s'expriment comme tout un chacun en français,

    Marie : vous avez le choix, pour les guitares grondeuses – Izo Diop de Trust drive la lead – et la batterie aboyante pas de problème vous prenez le ticket sans vous posez de questions superfétatoires, pour la petite Marie c'est moins évident. Selon les garçons les filles sont parfois un peu compliquées à vivre. Surtout que la demoiselle reste une femme rebelle et libérée, alors la musique danse dans les flammes, et vous vous laissez emporter dans ces virevoltes de feu. Elle a allumé le feu chez les boys, ils vous expédient le morceau à cent à l'heure, oui mais lorsque vous le remettez vous remarquez que c'est empli de ruptures suintantes. Ce que confirme Dans ma rue : qui nous mène sur la ligne de partage des eaux : quel entrain, ces guitares qui se font des queues de poissons, cette tambourinade qui mène le sprint, et prime à l'arrivée, cette voix joyeuse presque narquoise qui... vous met au contact de la réalité sociale des plus rugueuses, carmagnole rock de la déchéance qui débouche sur La rage : menée à fond de train, concentrée au dedans de soi l'enragement est un sentiment qui explose pour hélas se heurter aux murs qui bouchent l'horizon du monde et te revenir en pleine figure, le son se transforme en une balle de squash qui rebondit sans fin, un morceau qui se prend en pleine poire et te réduit en compote sous le pilon des existences déchirées car il est dur de vivre et Dur de dormir : impossible de trouver le sommeil, Marie n'est pas rentrée, une tranche d'angoisse existentielle poisseuse comme les cafards d'un blues survitaminé que l'on cherche à écraser sur la tapisserie du plat de la main, en vain, un train haletant qui s'enfuit dans la nuit blanche des rêves brisés.

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    The True Duke nous livrent un EP roboratif mais peu optimiste. Un constat sans fard sur l'état de notre société déglinguée mais aussi une vision sans compromission des individus à la dérive qui la composent. L'auto-apitoiement ne nous sauvera pas. Il ne suffit pas de dresser des constats. La musique électrique des True Dukes de plus en plus prégnante à chacun des morceaux nous intime l'ordre de marcher jusqu'au bout des cauchemars éveillés. Une bonne décharge électrique pour nous tirer de nos léthargies paralysantes et aligner les planètes de nos contradictions.

    Damie Chad.

     

    KINGDOM OF KIDDING

    FICTION ABOUT FICTION

    ( Sortie 10 / 08/ 2020You tube / Spotify )

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    What is it ? Surtout pas des inconnus pour les kt'tntreaders. Nous avons déjà chroniqué quatre des morceaux qui figurent sur cet album : I don't care, And no one say, et Trophy dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018, faisant alors parti d'un EP digital nommé Störm, Do not look back ( en 412 du 28 / 09 / 2019 ) sous forme d'un étrange dessin animé que nous qualifierons d'anguleux en le sens que nous considérons chacune de ses séquences comme des aiguilles qui s'instilleraient en votre cerveau pour piquer votre attention et ameuter vos méninges. Tout cela s'inscrivait dans un projet de Diane Aberdam intitulé Enaid Fictionaboutfiction. Ce n'est pas tout, nous retrouvons Diane en un duo formé avec Emilien Prost sous le nom de Tendresse déchirante, pronto nous avons chroniqué trois de leurs clips Sérénade Américaine, Acte II, Whip, ce dernier le 09 / 04 / 2020 ( 459 ) et pour les deux premiers voir 412, et 421 du 30 / 05 / 20. Emilien Prost officiait déjà dans Enaid Fictionaboutfiction.

    En résumé une création en gestation, les anglais possèdent une belle expression, ''a work in progress'' , que Joyce a beaucoup utilisée, pour désigner ces sortes de longues parturiences in utero qui s'apparentent aussi à des dénis pathologiques de grossesses. L'Artiste ne saurait jamais être satisfait. A peine a-t-il réalisé une œuvre qu'il regrette, il sait qu'il aurait pu faire mieux. Tout au plus la considère-t-il comme une approche, en vue de plus ultra. Toute œuvre ne serait-elle pas une fiction qui raconte une autre fiction qui n'est pas elle, tout en étant pleinement participante de son déroulement. Selon ce terme de fiction l'on pourrait s'attendre à ce que Diane et Emilien écrivent au minimum une nouvelle. Mais ils sont musiciens, ils ne composent pas de roman, ils bossent sur les sons mais ne travaillent pas vraiment sur des songs, plutôt des ambiances, des atmosphères. Ce n'est pas ce qu'ils jouent et chantent qui est important, mais l'écho que cela suscite en nous. L'histoire, les péripéties se répètent, sont connues, ils parlent d'eux et de nous, car nous nous ressemblons tous pauvres animalcules humains infatués de nos particularités à un tel point que nous ne nous apercevons pas que les différences qui nous séparent des autres et nous élisent en une royauté immarcessible ne sont que des leurres microscopiques.

    Kingdom of Kidding. Royaume de la blague, ou Empire de l'Illusion. Tout récit n'est-il pas un château de cartes qui s'écroule au fur et à mesure que les mots progressent, chaque vocable cédant la place à celui qui le remplace, à peine une marche du stairway to heaven est-elle posée que la suivante la remplace et ne monte pas plus haut. Nous vivons dans un monde d'incertitudes et de pierres branlantes qui s'effondrent sous chacun de nos pas alors que nous croyons arpenter la chaussée des géants. Peut-être est-ce pour cela qu'après avoir prévu une illustration colorée pour la pochette ils ont finalement opté pour l'image grise des vieux grimoires délaissés sous la poussière des siècles, signifiant ainsi que le temps affadit sans pitié les teintes vives des plus belles légendes.

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    After the end : il pourrait sembler étrange de commencer une histoire alors qu'elle est déjà terminée. Mais il en est ainsi de toute existence. Notre présence au monde ne fait que survivre à ce que nous avons déjà vécu. The thrill is gone, le meilleur est derrière nous. Même les rois font reposer leur puissance et leur majesté sur des actes – les leurs ou ceux de leurs ancêtres – évanouis depuis longtemps. Une triste évidence dont notre esprit se détourne avec horreur. Mais nous n'y pouvons rien, la machine est lancée et le conte commence. La musique se déploie telle une ritournelle dramatique dont rien n'arrêtera le déroulement. Il y a de l'inéluctable en cette orchestration rock qui se confond aisément avec le chant funèbre d'un orgue mécanique de barbarie. Vous avez des voix qui profèrent des promesses de chuchotement et des chœurs qui imitent ces splendides tentures tachées de sang qui ornaient les murs des vieux châteaux d'Elseneur. Drames revivifiés et inquiétudes attisées, gradation grinçantes. Nous voici au bout du vestibule, lorsque nous pousserons la porte serons nous dans la pièce aux merveilles ou déboucherons-nous dans le corridor des horreurs ? Interlude 1 : retour à la réalité, comme dans un tournage de film lorsque retentit le clap de fin indiquant que la scène est finie, que chacun sur le plateau peut reprendre sa vie. Assez insipide, si l'on en croit ces trente secondes insignifiantes d'une simple guitare qui égrène quelques arpèges. Hit me : l'histoire reprend, la musique s'emplit d'un lyrisme mystérieux, c'est juste la grande scène d'amour, le dialogue du désir entre l'Être féminin et le l'Être masculin, la prière qui monte, les guitares qui s'extasient, jusqu'à l'éclatement cacophonique de la pâmoison, gros plans de fureurs érotiques. Les sexes se tendent et s'électrifient. Paix à leurs corps. Leur âme est égarée. Interlude 2 : profitons de cet interlude aussi doucereux que le premier, genre baladin qui gratte une mandorle aux pieds d'une jeune et chaste princesse vierge qui roucoule ses émotions. Pour endosser notre rôle de chroniqueur sérieux nous... mais vous êtes pressés vous voulez la suite, la voici. The girl with many eyes : tambours tuméfiants, l'heure est grave, c'est celle des monstres. L'épreuve initiatique et obligatoire que doit subir le héros. Sera-t-il aussi terrible que la renommée le rapporte, pas du tout, ce n'est qu'une fille, mais avec des yeux partout, qui vous regardent et vous ensorcèlent. Le preux chevalier énamouré se montre digne de notre attente. Belle performance vocale d'Emilien Prost qui n'est pas sans évoquer David Bowie, mur de guitares perçantes tissés par Diane... Interlude 3 : pourquoi ces brefs interludes passe-partout, trop courts pour nous ménager une pause sandwich ou pipi. Soyons un peu sérieux, évoquons un peu les démarches théoriques et expérimentales de Robert Fripp et Bryan Eno, experts en musiques progressives qui n'en ont pas moins porté leur attention sur des musiques d'ambiance et répétitives faites non pas pour être écoutées mais pour être entendues quasiment à l'insu de l'auditeur. Une sorte de manipulation mentale d'autant plus dangereuse que pratiquement inaudible. Méfions-nous, ne nous laissons pas mener par le bout du nasibus. L'appel à Fripp dérive d'une simple logique, ce disque s'inscrit quelque part dans la continuité logique de certains récitatifs instrumentaux propre aux deux premiers trente-trois tours du Roi Pourpre. I don't care : c'est la scène des alcaloïdes, non pas celle du poison shakespearien versé dans l'oreille du roi endormi, il en est de plus subtils, de plus inquiétants qui ne vous tuent pas mais qui vous font perdre le goût de la vie car ils vous ouvrent tout grand les portes d'ivoire et de corne de la mort et du rêve et vous laissent voir... désormais vous savez qu'il existe des réalités grandioses bien plus exaltantes que votre quotidien, mais combien plus dangereuses. Votre vie est comme la pochette du disque, elle a perdu ses couleurs, mais vous n'avez pas eu le courage de franchir le seuil, maintenant vous connaissez vos limites, d'un côté le dégoût de vivre et de l'autre le contour de votre peur. Vous atteignez la lassitude de vous-même. Interlude 4 : le plus poignant de tous les interludes, quelques notes égrenées et cette demande d'amour psalmodiée par la baladin d'un monde occidental condamné. No one say nothing : le grand monologue d'Hamlet, Emilien crie son désespoir et sa solitude, plissements de basse, le drame dans toute sa splendeur, les sanglots et le désespoir, ne devrait pas s'arrêter de chanter, de nous agoniser de ces saccades hallucinées mais le monde s'écroule, la musique s'emballe, la mer recouvre la cité d'Ys, les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Interlude 5 : un peu de douceur dans ce monde de brutes. Respirons. Trophy : rythmes africains. Rien ne dure en ce bas monde. Même pas le désespoir. Morceau baroque. Bas-rock and high voltage. Toute force gît en l'intérieur de nous. Il suffit de vouloir vivre et de triompher. Au bout de la mort spirituelle, ce qui vous a tué vous rend plus fort. Renaissance. Initiation. Interlude 6 : presque une intro de chanson, le plus joyeux et le plus roboratif de tous les interludes. Do not look back : mélopée de charmeur de serpents et rythmique enlevée, la voix embrumée de mystère et de décision, exultation à tous les étages, maintenant le vocal moutonne comme annonce d'orages désirés, ne manquent que les éclairs dont l'absence est marquée par des coups de cymbales ensoleillées. Optimisme ravageur. Interlude 7 : une corde vive frappe votre tympan, une voix féminine qui monte et descend. Quatre notes nostalgiques pour finir. Reign of rain : longue introduction instrumentale empreinte de mélancolie, les voix se mêlent pour proclamer et puis exiger que cesse la fin, c'est la montée des eaux à la fin du Crépuscule des Dieux, pouvez crier, hurler, gémir, tout s'apaise et se tait. Interlude 8 : quelques accords prestement enlevés et puis les doigts qui s'alourdissent comme des larmes qui coulent sur les joues d'un enfant qui ne peut croire à la ritournelle ironique qui les a motivées. Out of my head : il est temps de sortir de ce conte de vieille femme, à dormir debout, à dormir éveillé, pression mélodramatique, mais s'enfuir ne serait-ce pas revenir au début qui refusait de débuter, sommes nous dans une impasse qui ne s'achève jamais, qui s'allongerait tel un jour ou une nuit sans fin. Une légende abracadabrée qui vous laisse sur votre faim, puisque le morceau s'arrête brusquement, puisqu'elle ne s'achèvera jamais. Le jour et la nuit s'égalisent-ils en une équinoxe narrative. Ce qui a été rêvé a-t-il été vécu au même titre que ce qui a été vécu n'a pas été rêvé. Fiction et réalité ne seraient-elles que le même coté d'une trame commune ?

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    Fiction About Fiction nous livre un opus de poids. Une melting pot de résonances intimes. Un regard intérieur de Méduse. Faut se laisser pénétrer, n'être plus qu'un corps flottant de noyé entre deux eaux, celle des profondeurs les plus glauques et celle des phantasmes les plus convenus. Un conte pour adultes qui essaient de remonter à la source de leur enfance perdue. Il est trop tard. Définitivement.

    Une musique envoûtante, des structures labyrinthiques et des ruptures colimaçonesques qui sont en même temps, et le dédale infini, et le fil d'Ariane qui vous permet de ne pas vous échapper, car ces mélodies désastreuses qui fonctionnent comme des vis sans fin ou des spirales infinies qui vous ramènent toujours au point focal de vos errements vous enserrent en leurs anneaux de serpents gluant. Mais que vous soyez dehors ou dedans, le piège mental s'est refermé sur vous. Un conseil, avant d'écouter ce disque : ne vous racontez pas d'histoire. Parce qu'une fois que vous l'aurez entendu vous ne croirez plus à vos sornettes. Progressif décapage mental.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 440 : KR'TNT ! 440 : CHAMBERS BROTHERS / MARK LANEGAN / DREIKANTER / JAGANNATHA / HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 440

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28 / 11 / 2019

     

    CHAMBERS BROTHERS / MARK LANEGAN

    DREIKANTER / JAGANNATHA

    HIGH ON WHEELS / JARS / RIGHT

     

    Musique de Chambers

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    Les Chambers Brothers sont arrivés dans le rond du projecteur en 1968 avec un sacré smash, le fameux «Time Has Come Today». Comme il durait huit minutes, Columbia l’avait coupé en deux pour pouvoir le vendre sur un single. Les Chambers Brothers furent le premier groupe de rock noir à émerger de la West Coast. On avait à l’époque très peu d’informations. On sut plus tard que les quatre frères étaient nés dans le Mississippi, à l’époque où la vie était encore rude pour les noirs. Ils étaient onze enfants dans la famille Chambers. George, Joe, Willie et Lester travaillaient aux champs avec leur père. Le dimanche ils chantaient à l’église où les blancs les payaient avec une pomme. Willie affirme qu’ils savaient se contenter d’une pomme. C’était mieux que ce qu’avaient les autres, ajoute-t-il.

    Dans les années cinquante, ils jetèrent l’ancre à Los Angeles où s’était installé l’aîné, George, fraîchement démobilisé. Justement, George vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois, alors on ne va pas laisser passer une occasion pareille : rendons hommage à ce groupe énorme que furent les Chambers Brothers.

    Attention, leur discographie tient sacrément bien la route. C’est du solide. George et ses trois frangins ont ramené en Californie le power du gospel batch et les subtils bouquets d’harmonies du doo-wop. Ils chantaient tous les quatre et savaient composer. George jouait de la basse, Lester de l’harmo, Willie et Joe de la guitare. Un batteur blanc nommé Brian Keenan les accompagnait. Les Chambers firent comme Sly Stone le choix étrange d’un batteur blanc. Why not ?

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    Ils se firent connaître au Newport Folk Festival, puis tout alla très vite. Un premier album intitulé People Get Ready parut en 1966. Il y tapent un «Tore Up» d’Hank Ballard à la chaleur du doo-wop. Leur grande force est de savoir chanter à quatre. Ils reprennent plus loin le très beau «You’ve Got Me Running» de Jimmy Reed et le fondent dans l’or d’un boogie magnifié à la chaleur des voix combinées. Le morceau titre est la reprise du hit de Curtis Mayfield : «People Get Ready» avait à l’époque une résonance particulière. Pour le peuple noir, il ne s’agissait pas d’une chanson de discothèque, mais d’un hymne patriotique. On retrouve les voix chaudes du Mississippi sur «Hooka Tooka» en B et une version de «Summertime» qui vire doo-wop, mais on préfère celle de Janis qui tamponne bien le coquillard. Ils bouclent avec une fantastique version d’«It’s All Over Now», mille fois plus inspirée que celle des Stones. Joe Chambers chante comme un prêcheur du Deep South, avec de la fièvre dans les montées et du jus dans l’accent. Il swingue comme un démon béni des dieux. La fratrie Chambers se révèle redoutablement puissante.

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    La même année paraissait Now avec une pochette à la mode, puisqu’elle était recouverte de fleurs. Les Chambers vont confirmer ce qu’on pressentait avec le premier album : ils sont les rois de la reprise, the kings of the kover. Il faut entendre la kover qu’ils font de «High Heels Sneakers». Bon, d’accord, la version de Jerry Lee est indétrônable, mais on peut classer celle des Chambers aussitôt après. Ils en font une version torride et diablement inspirée. Attention, le «Baby Please Don’t Go» qu’on trouve sur cet album n’est pas celui des Them. Il s’agit d’un gospel blues, l’une de leurs grandes spécialités. Ils peuvent même taper une version de «Long Tall Sally» sans rougir, mais c’est le même problème qu’avec «Summertime» ou Sneakers, on peut avouer un faible pour une autre version, celle de Little Richard, bien sûr. En B, on tombe sur l’énorme «It’s Groovin’ Time», un gospel batch à l’image du delta, qui se perd sous l’horizon. Les Chambers excellent dans tous les domaines. Avec chaque album, on a de quoi nourrir un régiment.

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    Leur album culte The Time Has Come parut l’année suivante. On y trouve le smash qui fit leur succès, noyé d’écho, puissant, quasiment biblique, hanté par les cris de la jungle et des gros ha ha ha à la Clarence Carter. C’est bête à dire, mais «I Can Stand It» est encore meilleur. Voilà une belle pièce de r’n’b chaude et sensuelle, jouée à la cloche de bois et pulsée à la Sly. Ils font aussi une version absolument déterminante d’«In The Midnight Hour» - Oooh sock it to me - Ces mecs ont une classe folle, ils swinguent la Pickett Soul à leur manière qui est altière. On retrouve toute l’énergie des plantations dans «All Strung Out Over You», un heavy black rock de belle tenue. Autre chef d’œuvre impérissable : le «Please Don’t Leave Me» qui se trouve en B, un groove doo-wop monté sur la bassline élastique de George. Le doo-wop reste la botte secrète des frères Lagardère.

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    Sur l’album live Shout !, on trouve un coup de génie intitulé «Pretty Girl». Ça sonne comme le r’n’b de l’origine des temps, mais gorgé de toute l’énergie du doo-wop. Les quatre frangins ont du génie, aucun doute là-dessus. Il faut les entendre pulser leur pretty pretty pretty pretty girl ! On contemple le visage non pas de Dieu mais du génie rock des origines, ce mélange toxique de beat r’n’b et de doo-wop. Et en prime ça screame. Ils tapent une kover de «Johnny B. Goode» à la clameur, un blues à la Chambers («Blues Get Off My Shoulder» de Bobby Parker) et un brillant retour au gospel batch pur avec «I Got It». Il bouclent avec une version merveilleuse de «So Fine» chantée à l’unisson du saucisson.

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    Encore un superbe album avec A New Time A New Day paru en 1968. C’est là qu’on trouve leur monstrueuse kover d’«I Can’t Turn You Loose», le hit d’Otis. Bon, c’est dur à dire, mais leur version est mille fois meilleure que celle d’Otis. C’est une merveille inexorable, screamée jusqu’à l’os du crotch et derrière ça claque des mains il faut voir comme - Early in the morning/ I got the feeling/ late in the evening - Il s’enraye le gosier à gueuler comme ça. Fantastique ! Belle pièce aussi que ce «Do Your Thing», solide black rock poussé dans le dos par le beat pour qu’il avance plus vite. On croit entendre James Brown ! Ils tapent aussi le heavy funk de combat avec «You Got The Power». Ils sont tellement puissants que rien ne peut leur résister. Quand ils tapent dans le heavy blues, comme c’est le cas avec «Rock Me Mama», on voit trente-six mille chandelles. Ils sont bel et bien les maîtres du jeu - When you start to roll me babe/ You don’t know how you make me feel - Encore une belle fournaise avec «No No No Don’t Say Goodbye». Brian Keenan y fait un numéro de cirque sur ses fûts. Il n’en finit plus de pulser la soupière. Ils terminent avec le morceau titre, un groove de Soul à la Junior Walker. Les Chambers foutent le feu au ghetto, comme June le fit avec «Shotgun». Ils sortent pour l’occasion un groove absolument dévastateur. On y retrouve les cris de la jungle de Time et toute cette fantastique ambiance de ghetto en flammes.

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    Le Groovin’ Time paru sur Folkways en 1968 est une sorte de compile d’archives. On y trouve un très beau gospel blues («Down In The Valley», de source claire et noyé d’harmo), un gospel rock étonnant («Rough & Rocky Road») : pas de guitares, pas de basse, tout est pulsé aux clap-hands et à l’énergie des origines. Oui les Chambers savent très bien pulser le gospel batch et roller grand-mère dans les orties. Ce cut est une véritable énormité, digne de celles du Rev. Gary Davis. En B, ils tapent dans le boogie avec «Yes Yes Yes», fabuleuse pièce chargée d’écho, à consonance mythique. Belle version à la suite d’«Oh Baby You Don’t Have To Go». Ces mecs-là ne visent que l’épais et le bon.

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    On trouve encore une kover de rêve sur le double album Love Peace & Happiness paru en 1969 : «You’re So Fine», le vieux hit des Falcons. Voilà une version bien drivée, puissante et juste. Comme ça vient à la fin du live au Fillmore East (le deuxième disk), c’est une façon très élégante de saluer le public. Sur le live, on retrouve aussi leur kover d’«I Can’t Turn You Loose». Ils la surchauffent et ça tourne une fois de plus en eau de boudin de Trafalgar. Ils rebalancent leur kover de «People Get Ready» et tapent «Bang Bang» au riff de «Louie Louie». Ils font danser le Fillmore. Les gonzesses sont folles de joie. Elles peuvent danser le jerk. Pour finir, ils passent en mode doo-wop avec «Undecided/Love Love Love», et tout le Fillmore claque des mains. Quels veinards, ces hippies ! Sur l’album studio, on trouve un très beau gospel batch («Have A Little Faith») et deux hits : «If You Want Me To» (rock de Soul admirablement swingué et screamé sur le tard) et «Wake Up» (véritable Chamby Chambah noyé de Soul et de cuivres).

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    Les Chambers enregistrent énormément. Voilà leur huitième album en quatre ans, Feeling The Blues. On y trouve un chef d’œuvre de gospel batch intitulé «Just A Closer Walk With Thee». Les Chambers livrent là un gospel de charme nappé d’orgue avec du Oh Lord magnifico. Ils tapent dans les tous les styles avec une égale réussite : dans le blues à la «St James Infirmary» avec «Blues Get Off My Shoulder», dans le balladif à la Ray Charles avec «Travel On My Way», dans le jumpy des années vingt avec «Undecided» et dans le boogie ravageur avec «Girls We Love You», monté sur le beat de Sneakers. Ils chantent ça tous les quatre. On y sent une vraie énergie.

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    En 1971, New Generation paraît sous une pochette richement illustrée, en forme de calendrier aztèque. Au dos, une photo de groupe mélange les Chambers avec des blancs. Ils sont pour la mixité, apparemment. «Young Girl» est le hit de ce bel album, une adorable pièce de pop sentimentale chantée au doux du doo des Chambers. On en frémit, tellement c’est beau. «Funky» sonne aussi comme un hit. C’est même un hit, avec un mélange de jive de jazz et de Soul universaliste. Diable, comme ils sont brillants ! Ils reprennent «Practice What You Preach» à l’arrache de James Brown, avec une sorte de hargne vengeresse. En B, ils reviennent à la Soul de charme orchestrée avec «Reflections». Si on aime les ambiances chaleureuses, alors c’est là que ça se passe. Quant au morceau titre, il s’agit d’une jam de Soul rock bien portée par le bassmatic et secouée par quelques démonstrations de force. Ils finissent cet album étonnant avec «Going To The Mill», une chanson d’esclaves. Ils sont très forts : ils rappellent aux blancs que la vie des noirs ne fut pas toujours rose.

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    On reste dans les seventies avec Unbonded, un album qui vaut franchement son pesant d’or. Les Chambers l’attaquent avec une kover des Four Tops, «Reflections». Lester chante lead et il screame comme un damné pour faire décoller ce vieux hit qui n’en demandait pas tant. Ils tapent ensuite dans une autre légende du r’n’b, Hank Ballard, avec «Let’s Go Let’s Go Let’s Go». Willie chante ça avec toute la chaleur du doo derrière. Ils mêlent encore une fois la puissance du gospel au r’n’b. Lester prend «1-2-3» d’une voix incroyablement sensible. On entend là un swinger fou qui relance son cut au scream. Quelle science du beat Motown ! Il finit son cut au scream pur, comme Wilson Pickett. En B, ils tapent une belle kover du «Good Vibrations» des Beach Boys. Ils la chargent d’harmonies vocales issues du doo-wop et du gospel, du coup ça s’envole pour de bon. Nouvelle reprise de Curtis Mayfield avec «Gyspsy Woman». George la prend d’une voix incroyablement chantante à la Curtis. Ce mec est tout simplement génial. Ils tapent aussi une jolie kover du «Do You Believe In Magic» des Lovin’ Spoonful et finissent avec un «Looking Back» traité au gospel batch des adieux.

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    Leur dernier album studio paraît en 1975. La pochette montre une partie d’échecs et l’album s’appelle Right Move, qu’on pourrait traduire par joli coup. Les Chambers continuent de proposer des bons albums. On est frappé par l’énormité du son dès «Crazy Bout The Ladies», ce mélange de heavy soul et de blues rock arrosé d’harmo, sevré de puissance et vaste comme l’horizon. C’est comme à la Samaritaine, on trouve tout chez les Chambers Brothers. Voilà encore une belle pièce de rock blues avec «Miss Lady Brown», enrichi aux harmonies vocales et doucement wahté en fond de toile. On a même droit à des petits coups de baryton doo-wop. S’ensuit un «Lotta Fine Mama» chanté avec une hargne peu commune, un peu dans l’esprit de Little Richard, et saxé à gogo. En B, le doo-wop fait son retour dans «Smack Dab In The Middle». Il faut voir ces mecs comme des cracks à l’ancienne. Ils nous sortent là du pur swing des années trente. «Stealin’ Watermelons» sonne plus funk, mais c’est chanté avec les ficelles de caleçon doo-wop. La voix fait la stand-up. L’air de rien, ce genre de pirouette finit par fasciner. Ils tapent ensuite «Who Wants To Listen» à l’infra-basse du hip hop. On se repaît de ce magnifique son de basse, de sa rare profondeur, à la fois swampy et spirituelle.

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    Et voilà, ça se termine en 1976 avec l’excellent Live In Concert On Mars. On y retrouve le «Stealin’ Watermelons» de l’album précédent. Les Chambers font chanter des filles - I-I love something you get/ I-I love something you got - et ils répondent Oh yeah ! Ils finissent ce set en beauté avec du higher and higher à la Sly Stone. Les concerts des Chambers devaient être de véritables messes païennes. Le «Supestar» qui ouvre le bal de l’A est aussi une belle pétaudière, bien wahtée et jouée à l’énergie pure. C’est un classique du rock-soul psyché des seventies. On ne peut pas faire mieux. Avec «Me And My Mother», ils font ce qu’ils ont toujours fait, ils shootent toute la puissance du gospel batch dans le cul de la Soul californienne. Alors ça devient exceptionnel. Ils passent ensuite au funk avec «Midnight Blues». Ils y sonnent les cloches de la basilique. Ils sont complètement dans le groove du funk, le meilleur qui soit, le véritable emblème de la blackitude céleste.

    Les trois frères de George seraient encore en vie. L’étonnant est qu’il n’existe aucune littérature qui leur soit consacrée, ni dans les mémoires de Bill Graham, ni dans les recueils d’articles de Joel Selvin. Que dalle.

    Signé : Cazengler, Chamberk Brother

    George Chambers. Disparu le 12 octobre 2019.

    Chambers Brothers. People Get Ready. Vault 1966

    Chambers Brothers. Now. Vault 1966

    Chambers Brothers. The Time Has Come. Comumbia 1967

    Chambers Brothers. Shout ! Vault 1968

    Chambers Brothers. A New Time A New Day. Columbia 1968

    Chambers Brothers. Groovin’ Time. Folkways Records 1968

    Chambers Brothers. Love Peace & Happiness. Columbia 1969

    Chambers Brothers. Feeling The Blues. Vault 1970

    Chambers Brothers. New Generation. Columbia 1971

    Chambers Brothers. Unbonded. Avco Records 1973

    Chambers Brothers. Right Move. Avco Records 1975

    Chambers Brothers. Live In Concert On Mars. Roxbury Records 1976

     

    Lanegan à tous les coups

    - Part Three

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    Dans le dernier numéro de Mojo, Keith Cameron déroule le tapis rouge à celui qu’il surnomme the Dark Lord with the Voice of Doom, c’est-à-dire Mark Lanegan. Cameron en fait peut-être un peu trop, comme ces gens qui baptisèrent jadis le duo Isobel Campbell/Mark Lanegan ‘La Belle et la Bête’, ce qui était à la fois insultant pour Lanegan et pour Cocteau. S’il est un film dans lequel le mythe Lanegan peut trouver un écho, c’est bien sûr «Les Enfants Du Paradis». N’oublions jamais que Lanegan vient de la rue et qu’il est parti de triple zéro pour bâtir un empire artistique.

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    Lanegan vit à Glendale, un northern Los Angeles satellite qui fut jadis le fief des Cramps. Chez Lanegan, Cameron voit des livres, des toiles et des photos. Pas n’importe quelles photos : Bowie, William Burroughs et Sid Vicious. Cameron annonce aussi la publication d’une autobio, Sing Backward And Weep, et d’un prochain album sur lequel sont invités des gens comme Warren Ellis et Adrian Utley. Lanegan ne traîne pas en chemin, il avance au rythme des projets à venir. Pour alimenter le côté morbide du mythe Lanegan, Cameron s’empresse de rappeler que son chemin de croix croise pas mal de tombes, notamment celles de ses vieilles idoles : Kurt Cobain et Jeffrey Lee Pierce, pour n’en citer que deux.

    Très vite, Lanegan se montre intraitable sur la question de la popularité. Faire la première partie de Johnny Cash ou de Bon Jovi aux États-Unis ? Non, ça ne marche pas comme ça. Dans son pays, on le voit toujours comme le chanteur d’un groupe grunge qui n’a pas marché. Alors il développe des trésors de pédagogie laneganienne pour expliquer qu’il a dû tout reprendre à zéro afin de pouvoir exister en tant que Mark Lanegan - I had to forge a different sort of future for myself - Et c’est en Europe que ça marche, les gens achètent les disques et viennent le voir chanter sur scène, même si la plupart du temps, ils ne savent rien des Screaming Trees.

    Ah justement, les Screaming Trees, parlons-en ! On manque cruellement de littérature sur ce groupe incroyablement fascinant que Lanegan s’empresse de démolir - The Trees were inherently flawed - C’est-à-dire foutus d’avance - They had no work ethic - Lanegan nous explique que Lee Conner composait chaque jour trois ou quatre cuts - He was a machine - Il recyclait en permanence les mêmes accords, that phony psychedelia that raised its head in the ‘80s. «Tous ses textes parlaient d’herbe et d’acide, mais le plus drôle de l’histoire, c’est qu’il n’a jamais fumé d’herbe ni pris d’acide. C’était moi qui fumais et qui prenais des acides, et la façon dont Lee Conner en parlait n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. Il évoquait des chats qui rigolaient ou des arc-en-ciels mauves ! Et je devais chanter ce fucking crap alors que j’écoutais le Gun Club et Birthday Party - shit with balls - J’étais désespéré et pourtant, je voulais partir en tournée, car chanter ces trucs était le seul moyen d’accéder à la vie que je voulais vivre.» On apprend donc que Lanegan en bavait au temps des Trees. Les chansons de Lee Conner lui donnaient la migraine et il devait adapter sa voix, d’où l’accès au baryton. C’est au moment de Sweet Oblivion que Lanegan prend conscience de son power - I realised I had a powerful rock voice - C’est là qu’il commence à écrire les textes, and dude, I realised then that I could blow the fucking walls out ! Lanegan réalise qu’il peut secouer les colonnes du temple et devient alors l’un des plus grands chanteurs d’Amérique. Il commence même à enregistrer des albums solo, et dès le deuxième, Whiskey For The Holy Ghost, il se destine aux cimes - I was determined to do something great, even though I still was a cave man, trying to make fire (Je voulais faire quelque chose de grandiose, même si je sentais que j’en étais encore au stade de l’homme des cavernes essayant d’allumer un feu) - Il se sait limité, mais il rêve de grandeur, et pour illustrer son propos, il cite deux modèles : Starsailor et Trout Mask Replica - Unreachable paradigms (paradigmes insurpassables) - Tim Buckely et Captain Beefheart, pas mal non ? Et c’est là que Lanegan songe à quitter les Trees pour pouvoir exister artistiquement. Entre Sweet Oblivion et Dust, Lanegan passe à l’héro et tout devient très compliqué pour les Trees qui sont en passe de percer. Mais c’est bien là qu’est le problème : si Lanegan se schtroumphe avec autant d’opiniâtreté, c’est précisément parce qu’il ne supporte plus d’être dans ce groupe de malades - I realised right then part of the reason I was loaded the whole time was just to survive the mental beatdown of being in that band. Everyone of us was just a complete weirdo - Et moi en premier, s’empresse-t-il de préciser ! C’est à cette époque que Josh Homme rejoint les Trees - I was a degenerate drug-addict and he was a clean-cut kid. He became my spirit animal for those years - Quel bel hommage !

    Degenerate ? Lanegan avoue sortir d’une sacrée lignée : repris de justice, trafiquants d’alcool, mineurs misérables, le fleuron étant son oncle Virgil Lanegan, un clochard alcoolique tombé d’un train et amputé des deux jambes. Lanegan rappelle qu’il a toujours eu des problèmes avec la justice, qu’il a été sous contrôle judiciaire pendant toute son adolescence, de 11 à 18 ans et au placard à 18 ans. Lanegan fut donc entièrement livré à lui-même, il donnait donc libre cours à ses pulsions les plus sombres, the darkest thoughts or obsessions. And that’s all I did. Alors Cameron lui demande comment il a réussi à survivre. «Pure luck, dude.» Coup de pot, mon pote. Il dit avoir une constitution plus solide que celle des autres. Il dit aussi avoir évité les drogues pendant de longues périodes - That’s the main reason I’m here - Mais quand il parle du crack, c’est pour en rappeler sa consommation compulsive, à la Crosby, toutes les dix minutes, où que ce soit, dans les aéroports ou les backstages.

    Lanegan évoque aussi son passage dans les Queens Of The Stone Age et son coma de huit jours - Near death experience - suivi d’un retrait complet de la scène. Il devient alors décorateur sur des plateaux télé et c’est son poto Greg Dulli qui insiste pour l’emmener en tournée - Greg’s a very close friend and very persuasive - Puis Lanegan fait son grand retour avec Blues Funeral - It came back big time with Blues Funeral, the enjoyment, the inspiration, everything - Il retrouve l’inspiration et l’enthousiasme. Il s’enflamme à évoquer son évolution artistique : on s’améliore en vieillissant. «J’écris de meilleurs textes, je chante de mieux en mieux. Je ne vois rien qui puisse m’empêcher de continuer à évoluer.» Avec sa femme, il vient de monter un projet electro nommé Black Phoebe. Et quand Cameron lui demande s’il est ambitieux, Lanegan grommelle : «That’s out of me now.» Trop tard pour ça. Il se contente de se lever chaque matin pour composer. Il adore ça. Il a réussi à vivre ce qu’il rêvait de vivre et même bien au-delà - I’ve lived a life beyond my wildest expectations - «Je n’ai jamais été une star, mais j’ai réussi à survivre en tant que chanteur. Je possède ma maison et je vis un mariage heureux. J’ai mes animaux. Maintenant, j’adore partir en tournée, alors qu’avant je détestais monter sur scène. Je ne me sentais pas à l’aise, sans doute à cause des trucs que je devais chanter. Aujourd’hui c’est fini. J’ai 54 balais et j’en ai plus rien à foutre de rien - I don’t give a shit about anything any more. Nothing ! N’importe quoi peut arriver and it’s fine !» En matière de mise à nu, on a rarement vu plus impressionnant.

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    Ce Mojo Interview tombe à pic car Mark Lenagan débarque en Normandie par un beau soir d’octobre. Et comme lors de chacune de ses apparitions sur scène, il donne une idée assez juste de ce que peut vouloir dire le mot grandeur. Lanegan shoote dans le rock toute sa démesure, on pourrait même parler de démesure prophétique. Il va de nouveau défrayer la chronique à coups de «Beehive» ou de «Hit The City», c’est le solid rock américain le plus straight in the face car chanté de droit divin - Gasoline in cool cool water/ I’m lying on a cooling board - Il semble que sa voix éclate comme jadis éclataient celles des rois dans les palais, c’est un éclat tellement impératif, chargé de tout l’écho du temps.

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    Il ressort aussi son vieux «Bleeding Muddy Water» reconnaissable entre mille et cet «Harborview Hospital» d’une indicible tristesse - I walked by Harborview Hospital - l’accroche fatale bientôt suivi du fatidiquement beau Oh sister of mercy. Par la grandeur de ses intonations et sa profondeur de ton, il rejoint bien sûr la démesure poétique de Léo Ferré, l’homme qui mit Rimbaud, Aragon, Apollinaire, Baudelaire et toute la bande en musique - The devil ascended/ Upon some crystal wings - C’est somptueux et souvent, on se pose la question : sommes-nous réellement dignes d’un tel artiste ? Qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas un concert de rock ordinaire.

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    Lanegan atteint à une autre dimension. Il devient malgré lui une sorte d’artiste subliminal. Il est même certainement ce qu’on peut espérer voir de mieux sur scène, si l’on recherche les grands interprètes. Lanegan se situe au niveau de stylistes comme Liza Minelli, Mavis Staples, Al Green, Jerry Lee, des gens capables dans leur genres respectifs de créer des moments d’émotion uniques. Il tape dans le nouvel album avec l’infernal «Disbelief Suspension» et son leitmotiv dévorant, you wanna ride/ You wanna take a ride - Lanegan utilise sa voix comme un instrument et n’en finit plus d’interpeller l’intellect.

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    Il tire aussi du nouvel album le cavalé «Stitch It Up», qu’il emmène avec une poigne de chef de meute, puis «Penthouse High», qu’il plonge dans une ambiance synthé avec des Ghots inside this house. Il mène le bal au big beat electro et ça ne surprend personne, car il centralise tous les flux dans l’image de sa personne. Il se dresse dans les ténèbres éclairées tel une statue de sel - Don’t you come inside this house ! - Fan-tas-tique ! C’est Victor Hugo à Guernesey avec des guitares électriques ! Il sort plusieurs fois ce refrain diabolique : «It’s my only faith/ It’s my truest love/ It’s my holy rain from/ Up / Abôve !» et il faut voir comment il accidente la prononciation d’Abôve ! L’effet ! Tout est dans l’effet. Oui, Lanegan fait de l’art, attention, c’est un cran au-dessus de ce qu’on imagine. «Dark Disco Jag» sort aussi du nouvel album, autre moment d’apparence banale, mais attention aux attaques - There’s music in my bag/ A dark disco jag - Ses textes nous régalent autant que ceux du Dylan de l’âge d’or, ce Disco Jag vaut bien «Desolation Row» ou encore «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again». Il y a quelque chose de sacré dans la perfection de ces textes. Lanegan revient aussi aux Twilight Singers avec «Deepest Shades».

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    Le somment du set reste bien cette puissante dérive mélancolique intitulée «One Hundred Days» qu’il semble chanter entre deux eaux - As no good reason remains/ I’ll do the same/ Thinking of you - Il faut le voir tordre le bras de son thinking of you, instant d’une merveilleuse intensité - There is no morphine/ I’m only sleeping - Il donne l’idée exacte de ce que furent les paradis artificiels du XIXe siècle, c’est une dérive volontaire de beauté défoncée, Lanegan fait de l’art, il sculpte la matière vivante de sa mélodie - A ship comes in - On se demande ce qu’il raconte, ship comezinne, on dérive avec lui au large ou dans l’harbour alors que les frissons courent sur le haricot comme des bataillons en déroute, il en vient absolument de partout, des myriades de ship comezinne frissonnants, one hundred days, ship comezinne, pas besoin d’avaler un stupéfiant, Lanegan stupéfie. Il fait tout le boulot. Désolé de devoir encore parler de magie. On se dit aussi à ce moment-là que Lanegan laboure ses terres, c’est-à-dire le conglomérat de cervelles admiratives rassemblées dans la salle et qu’il va y faire germer du blé d’or. Lanegan est une sorte de Georges Rouquier du rock, et même pire encore, un Abel Gance perché au sommet d’un escabeau face à son équipe d’une centaine de personnes, l’exhortant à faire du tournage qui démarre un moment d’exception.

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    On reste dans l’exception avec Somebody’s Knocking, le nouvel album de Lanegan, partiellement défloré sur scène. On croise à nouveau «Disbelief Suspension» et son attaque frontale - Going downtown/ In the wrong direction - Ça sonne immédiatement, c’est du heavy rock et chaque mot tinte dans l’écho du temps - I’m going to fly up to the sun/ In a helicopter - Lanegan chevauche son dragon, alors t’es baisé. C’est du heavy stoner, you wanna ride/ You wanna take a ride, t’es baisé, car tu vas chanter ça tous les matins pendant un bon moment. Il nous sert sur un plateau d’argent l’apanage de l’archétype du heavy stoner puissant, sombre et caparaçonné. Lanegan appartient à toutes les époques, surtout celles des tableaux de batailles rangées du XVIe siècle. L’armure noire et le la mèche de cheveux rouges, c’est lui. Dans «Night Flight To Kabul», il se demande s’il va trouver du Gold in Kabul, il fait tellement sonner le boulle de Kaboulle qu’on frémit - Is there Gold/ Gold in Kabul ? - Il charge ses intermèdes de synthés et annonce qu’il se laisse pousser une paire de cornes - I grew myself a pair of horns - Fantastique esprit de désaille ! Il descend dans son chant comme on descend les marches d’une crypte - Alone I drift - Il démarre sa B avec le tutélaire «Dark Disco Jag», son music in my bag, ses accroches mirobolantes et ses atmosphères pesantes, il trouve même de la magie dans son sac, a dark disco jag. Il n’en finit plus de chanter les louanges des ténèbres, sway now sister sway/ To that funeral tone - Ce démon enchaîne avec «Gazing From The Shore» où il rejoint des vieux atmopherix des Gutter Twins, tout est travaillé dans l’intensité avec la plus âpre des mélodies - Don’t leave me stand here/ Just gazing from the shore - Cette B ne serait pas une B sans ce «Stitch It Up» emmené ventre à terre - Arson on the hillside/ Down to the seaside - Et forcément, the beast walks next to me, comme au temps béni du Gun Club - Ropes can’t bind me/ Knife still inside me - Terrific ! Ce double album ne s’arrête pas en si bon chemin car «Penthouse Hight» ouvre le bal de la C. Encore un plat de résistance pendant le set, avec ses Ghosts et son gros beat electro. «Paper Hat» fait partie des cuts les plus ensorcelants de l’album, Lanegan s’y moque de lui-même, mais en même temps, il demande à sa femme de ne pas jeter son love away, car dit-il, ce sera le dernier love qu’il pourra offrir avant de mourir. On retrouve dans «Name And Number» le beat métallique de «Methanphetamine Blues». Il chante ça à la rengaine vénéneuse - When your name has become a number/ A wilderness of sorrow & slumber - On croit qu’il va se calmer en approchant de la fin de l’album. Pas du tout. Il attaque sa D avec «War Horse», un heavy shit à la godille - I’m a war horse baby/ And you don’t want a war with me - Il la prévient. En fait, Lanegan excelle à tailler ses lyrics à la serpe - People look out/ My chemical imbalence - C’est encore une fois extrêmement bien foutu, vraiment digne de la vigne - What’s in the bedroom mirror/ Are malovelant spirits/ It couldn’t be clearer - pas loin de Rosemary’s Baby. Derrière arrive «Radio Silence», avec du synthé plein les chutes du Niagara et il pèse de tout son poids dans l’imbalence de son génie - Some imperfect science/ That’s what I need - And Lanegan, that’s what we need.

    Signé : Cazengler, Mark Lannegland

    Mark Lanegan Band. Le 106. Rouen (76). 5 novembre 2019

    Mark Lanegan Band. Somebody’s Knocking. Heavenly 2019

    Keith Cameron : The Mojo Interview. Mojo # 313 - December 2019

     

    MONTREUIL / 24 – 11 – 2019

    LA COMEDIA

    DREIKANTER / JAGANNATHA

    HIGH ON WHEELS

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    Du monde ce dimanche soir. Un public différent. C'est fou comme chaque genre de rock draine ses propres aficionados. Diversifications ou cloisonnements. Chapelles ou tribus. Le rock du désert possède ses adeptes, c'est un fait, ceux qui sont là dans leur immense majorité savent ce qu'ils sont venus écouter.

    DREIKANTER

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    Trois tout de noir vêtus. N'imposent rien, néanmoins se dégage une classe ascétique innée. Quelque chose de sec et de racé qui leur colle à peau, Antoine Bartiett ouvre le jeu. La guitare seule. Se plaint-elle, rit-elle, roucoule-t-elle, pleure-t-elle, pour le moment on ne sait pas, mais l'on a compris que l'on est parti pour un grand moment. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a combat, entre lui et l'instrument, qui ne cessera de tout le set, un peu comme si chacun des deux luttait pour maîtriser l'autre. Il plaque des accords, mais c'est avant tout la guitare qui se plaque sur lui, comme si son corps était aimanté, essaie de l'éloigner de lui, la repoussant du haut du manche, Léda subjuguée saisissant d'une main ferme le col du cygne impétueux, tentant vainement de l'écarter pour échapper à l'étreinte cosmique, le blanc plumage de l'animal s'absorbant dans la blancheur laiteuse de sa peau, mais ici c'est noir sur noir, silhouette d'homme et de guitare se chevauchant, se rapprochant, se fuyant comme pour assurer une emprise définitive, l'impression de deux pièces de tangram qui chercheraient à signifier, à écrire les lettres d'un mot mystérieux que personne ne saurait lire mais qui retiendrait prisonnier tous les regards fascinés par la beauté de ses formes.

    Bien sûr entre temps Pascal Berson à la batterie et Florian Allard sont entrés depuis longtemps dans la danse. En silence. Certes ils jouent fort, mais l'absence de chant confère aux longs morceaux qui s'étendent en leur infinité une subtile dimension d'irréalité. Une cérémonie magique qui se déroulerait sans que l'on en entende le sens. Etrangement celle musique, lourde, lente, figée et tournoyante n'est pas sans rappeler les groupes instrumentaux de surfin' des premières années soixante, mais l'innocence en moins, plus d'un demi-siècle s'est écoulé, le rêve et l'enthousiasme sont morts, la promesse de jours heureux n'a pas été tenue, la nuit a perdu ses étoiles, l'âme humaine s'est obscurcie, la musique est devenue ténèbres. Un ruissellement charivarique de beautés sombres nous submerge, ne reste plus rien que cette froideur irradiante qui nous enveloppe comme un manteau de neige noire et scintillante.

    Pascal Bartiett joue-t-il vraiment de la guitare, ne serait-ce pas plutôt un fragment fuligineux d'aile d'ange tombé d'un poème de Rainer Maria Rilke qui tenterait en un dernier effort surhumain, de s'implanter, de se greffer dans une chair d'homme, et lui qui se débat, devant ce qu'il envisage tel un mufle de taureau minoen qui viendrait sur lui animé d'inquiétantes intentions qu'il serait incapable de déchiffrer. Le rock'n'roll n'est-il pas une corrida bruyante, une mise à mort symbolique de ce que l'on ignore. Sans doute de nous-mêmes. Un ballet funèbre de solitude. Ce qui est sûr c'est que quelque chose se passe, là sur cette scène. L'assistance s'est rapprochée, silencieuse et a écouté. Lorsqu'ils arrêtent, ils ont l'air surpris, presque gênés d'avoir généré une telle attention, comment eux, de simples buveurs de bière, ont-ils pu ce soir, par ce set, toucher à une poutre maîtresse de l'invisible.

    JAGANNATHA

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    Jagannatha c'est la roue du karma et des illusions qui avance sans que vous puissiez la stopper. A moins que vous ne trouviez l'échelle de secours qui vous conduira au nirvana. Mais ne comptez pas trop sur votre chance. De toutes les manières votre sort n'est pas si terrible que cela, le torrent désastreux de la maya charrie de profondes horreurs mais aussi de superbes rutilances. La boue la plus fétide roule des gemmes les plus coruscantes. Il suffit de savoir voir. Et entendre. Pour cela les quatre gars de Jagannatha vont vous aider à percevoir.

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    Ne sont pas venus seuls. Ont apporté leurs plateaux d'offrandes que les trois guitaristes ont déposés à leurs pieds. De multiples petites boites à musique, car pour traduire le message du souffle divin et primal, vous avez intérêt à vous munir de décodeur, ce sont des trafiqueurs d'ondes sonores qui sont devant nous, la technologie est un sentier comme un autre, l'important est qu'il nous permette d'accéder à une réalité différente. Un batteur derrière. Jusque là tout va bien. Devant ni un bassiste, ni une lead guitare, ni une rythmique. Si vous voyez cela, c'est que vous vous trompez. Employons quelques mots désuets pour que vous compreniez mieux : trois violonistes virtuoses. Chacun possède un instrument et sa douzaine de magic-boxes. Jouent des treize en même temps. Qui est vraiment qui ? La question n'a que peu d'importance. C'est le résultat qui compte.

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    Le batteur n'a que ses toms et ses cymbales. Il marque le rythme. Il insuffle les départs, et les ruptures. Les trois autres lui obéissent même s'ils n'en ont pas l'air. Quand vous ouvrez les coffres au trésor les pierreries se répandent d'elles-mêmes. Vous êtes vite submergés. Et nous le sommes par toutes ces rutilances envoûtantes. Un flot intarissable de toute beauté. Chaque note est une merveille. Une chatoyance, un foulard de soie saumonée de rose tyrien, de vert émeraude et de pourpre impérieuse. Une pluie d'éclats.

    La foule est massée tout autour. Immobile, silencieuse. Une assemblée de vampires dans une crypte convoquée pour l'ouverture de la tombe du maître Dracula, n'ayez pas peur, lorsqu'il ouvrira ses yeux de saphir vous serez baignés dans une ondée de bienfaisance, vos souffrances cesseront, vous aussi vous pourrez vous joindre au monde rieur des mortels sous les plus illuminatifs rayons du soleil, vous leur proposerez ce baiser de la mort, celui qui vous réunira dans l'éternité sans fin des jours écoulés.

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    Parfois ils se penchent vers leurs planche de salut, ils délaissent leurs instruments, tournent les boutons, et le son s'amplifie mais très vite ils brodent sur cette trame sonore de nouveaux motifs, des arabesques qui vous emportent en leurs tourbillons, des dessins de phénix en feu, des récits de voyages en des pays inconnus peuplés de rochers multicolores. Paix et tranquillité. Plénitude et sécurité. Zones safranées et sables versicolores. Aucune parole, les micros sont inutiles. La galerie de vos images intérieures à laquelle ils vous donnent accès est suffisante.

    Jagannatha nous a emmenés très loin sur le tapis volant de leur stoner doom dépourvu de toute noirceur. Nous ont guidé vers la sérénité des orages et la splendeur salvatrice des tempêtes. La beauté n'exclut ni la puissance, ni la violence, ni la passion. Sont des régénérateurs. Vous enduisent d'énergie positive. Et lorsque l'envol du rêve se pose sur la mer étincelante, vous vous dites que vous revenez de loin. Que pour un peu vous auriez refusé de redescendre.

    HIGH ON WHEELS

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    Sont-ce les trois micros, est-ce leur disposition en triangle méphitique, ou leur simple nom qui a induit cette intuition, cette fois-ci l'on allait entendre un stoner beaucoup plus nerveux. Certes ils n'ont pas manqué à cette lenteur de base qui est la marque de tout stoner bien élevé – quoique dans le désert les mœurs sont un tantinet rustiques, énormément sauvages affirment les explorateurs qui en sont revenus vivants - mais enfin ils se sont livrés à disons certaines déviances, qu'ils n'ont pas manqué de récidiver à intervalles ( très courts ) et extrêmement réguliers.

    Le coupable est tout désigné. Grégoire B derrière sa batterie. Un hypocondriaque de la violence. Vous mène une rythmique majestueuse, d'une ampleur beethovinienne, et puis brusquement la folie le prend. La caisse claire ne lui a rien fait, mais il faut qu'il la tape, de toutes ses forces, faut qu'il la piétine de ses baguettes lourdes comme la massue d'Héraklès s'abattant sur le crâne du lion de Némée, ne se retient plus, s'énerve, la pile à mort, jusqu'à épuisement complet, d'ailleurs après ces espèces de razzia de démolition, il se courbe, se plie en deux, entre ses tambours, épuisé, mort, un nouveau mode de suicide auto-programmé.

    C'est dans les pires moments que l'on reconnaît ses amis. Bruno G doit compter parmi ses meilleurs ennemis. Se saisit d'une de ses guitares, l'a prévu qu'une pourrait expirer sous ses doigts, et là il vous pousse un riff à réveiller une colonie de crocodiles qui fait la sieste sur le sable doré après avoir avalé les douze imprudents touristes du safari-photos, et aussitôt il recommence. Cinq six fois. Un peu plus fort à chaque fois. C'est alors que l'on assiste à une résurrection christique, Grégoire se réveille de sa torpeur comme si de rien n'était, et se met en devoir de couvrir la toniturance de son guitariste par une décharge battériale éhontée. Du coup, du fracas disons, Bruno hausse le ton et c'est parti pour le baston de la mort.

    En plus, vous avez un traître. Facile à repérer c'est le plus grand. Gilles T, bassiste de son état. Apparemment il ne fait pas grand-chose. Il se contente d'envenimer la situation. La piqûre perfide du serpent minute qui sonne votre dernière heure. Un partisan de la basse coulée. Le sous-marin à l'affût qui lance ses torpilles. Toujours à bon escient. Sous la ligne de flottaison. En plein cœur de la soute à munitions. L'a le chic, pardon le choc, pour emmener son bidon de nitroglycérine à l'endroit exact où ça chauffe le plus.

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    Là c'était le début. Après ça c'est gâté, pourri jusqu'à la moelle. Pour le plus grand plaisir de l'assistance. A force de s'entre-regarder du style '' tu ne feras jamais mieux'' ils ont pété une durite, Bruno s'est emparé de sa guitare rouge, manifestement sa préférée, le voici sur le champ atteint d'une crise de délirium épaisse comme trois éléphants furieux, l'a zébulonné sur la scène et puis un peu ailleurs, nous a fait le coup d'Hendrix guitare derrière la tête, l'a fini allongé par terre, ébouriffant riffant à mort, jusqu'à ce que ses doigts refusassent de s'agripper au manche, mais tant pis, lui restait l'autre main pour cisailler les cordes encore et encore. Entre temps Bruno est revenu sept ou huit fois à la vie, a même essayé ( sans succès ) de mettre en marche un petit ventilateur pour éviter l' infarctus, tandis que Gilles le haranguait en douce en coulant des noirceurs strangulantes d'algues vénéneuses qui s'enroulaient autour de votre cou pour vous faire ressentir les approches des extases mortuaires.

    Non je n'ai rien oublié de cette tuerie. Les trois micros, vous voulez rire. Non, ils n'ont pas chanté. Gilles après trois interjections inaudibles s'en est totalement désintéressé. Grégoire et Bruno s'en sont servi pour s'aboyer dessus, comme deux mâtins qui se lancent quelques amabilités bien senties avant de se jeter l'un sur l'autre, vous ont rugi en alternance des espèces d'invectives monosyllabiques, non, question lyrics High on Wheels sont très loin de partager la facilité de Marcel Proust ! Par contre réponse musique, ce n'est pas la petite phrase de la sonate de Vinteuil qu'ils vous font entendre. Sont des chauds partisans du tonnerre de Brest et du Pot-au-noir qu'ils vous déversent dessus, pas par le petit bout de l'entonnoir.

    Nous ont noyé dans un déluge sonore, et l'on était radieux comme des requins mangeurs d'hommes qui se jouent des tempêtes, heureux des naufrages cataclysmiques. Subsistent en la mémoire des images, cette étrange danse, un catastrophique menuet, sur ce qui doit d'être un extrait d'une bande-son de film, qui fleure la parodie qui se finit dans le paroxysme d'un stoner qui fuzze à toute vitesse, et ces confrontations, faux-frères ennemis de Gilles et Bruno, face à face, guitare contre guitare, une passation pantomimique d'énergie, l'institution d'un rituel stoner estonant, destonant.

    Damie Chad.

     

    JARS

    ( Pogo Records / 127 )

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    Pochette noire. Contours blancs d'une rose noire. Fleur carnivore. Quelques ratiches disséminées sous la tige. A vous de signifier le symbole. Pour vous aider au verso un anneau de trousseau de clef, pendeloques et camelotes d'instruments bizarres. Kit de survie improbable ou couteau suisse du pauvre. Dans le coin inférieur des tessons de bouteilles saisies par leur goulot et fracassées sur le rebord d'une table lors d'un baston dans un rade louche, une fleur de verre déchiquetée comme un calice brisé, agrémentée d'un ruban marqué Jars. L'ensemble n'incite pas à un optimisme béat.

    A l'intérieur, sur une feuille cartonnée, s'étalent les lyrics. Ont été établis par un traducteur peu performant. Certains restent sinon incompréhensible, du moins des plus ténébreux.

    Vladimir Veselick : basse / Alexander Seleznev : drums / Anton Obrazeena : guitare, voix, noise ( 3 ), lyrics / Nikita Rozin : voix ( 7 ) / Vasya Ogonechek : voix, lyrics ( 5 ) / Anton Ponomarev : Sax ( 9 ) /

    Nikolaï Lobanov : master / Andrei Letchick : enregistrement, mixage, master.

    Enregistrement : décembre 2017 – mars 2018, DTH Studios.

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    Il s'agit de la reprise de l'album JARS II, contenant neuf morceaux, certains ont déjà été chroniqués dans notre 338 ° livraison du 14 / 11 / 2018, mais la traduction en anglais est parfois divergente avec celle que nous avions proposée.

    E ( E ) : neuf minutes de désespoir, rôde comme un relent d'harmonica, mais ce n'est qu'une sursaturation de la guitare, la batterie effectue un travail de sape, elle enfonce les piliers de soutien du tunnel au bout duquel on déposera la bombe à neutrons. Dans le déluge sonore surnage l'illusion de voix expurgées de leurs corps. Grandiloquence des effets, suivi du grincement de l'alternateur de mise en tension du bouton de l'explosion finale. Les trois premières minutes de l'introduction du morceau rendent caducs les trois-quart de votre discothèque metal. Désolé, mais c'est ainsi. Le pire c'est que ça ne s'améliore pas par la suite. Un vocal excédé de misère. La voix est répétée comme une prière de haine épuisée. A vous glacer le sang qui coule des misérables cadavres ambulants de vos contemporains pour qui vous n'éprouvez aucune pitié. A commencer par vous. Superbe. Convulsion apodictique. Knife the existence ( Poignarde l'existence ) : la suite immédiate, ces séquences de film d'angoisse où la camera s'arrête sur l'arme du crime futur qui palpite dans la froide lueur de la lune. La musique est à son paroxysme. C'est la peau entre vos omoplates qui est prise en gros plan. Jaillissement du sang. Heureusement ils ont coupé, vous n'auriez pas supporté. A moveable feast (Une fête mobile ): vous avez fait cette expérience tout petit. Avec le moulin à café. Vous avez soulevé le couvercle, laissé échapper la moulure et à la place vous avez introduit vos doigts et la lame tournante les a réduits en poudre et puis le moignon sanglant qui n'est plus votre main, et puis votre bras, et puis vous avez plongé votre tête dans la cuvette sanglante, et vous avez enfin connu la paix extatique. Ceci n'est pas une traduction. Une transcription. Une auto-mutilation si vous préférez. Catbus : paroles incompréhensibles, c'est un peu comme si vous alliez promener votre chat au parc, vous entendez la guitare qui miaule et puis la batterie qui s'abat méthodiquement, froidement. Un hachoir de boucher. Vous n'avez emporté avec vous que l'essentiel, juste la tête au fond de votre poche pour qu'il n'ait pas froid. Votre chat heureux s'en va batifoler. Vous aimeriez être à sa place. Morceau fortement déconseillé aux véganistes qui ne supporteront pas cette tranche saignante de vie de chat. The swiss army knife man ( Soldat suisse ) : certains hommes sont plus surdoués que la moyenne. Prenez soin d'en avoir toujours un dans votre poche, un véritable couteau suisse. Un tueur en série sans défaillance. Ô mon amour t'écorcher vivante me fait autant de mal à moi qu'à toi. Mais l'on aime cela tous les deux. Un morceau d'une horreur inouïe. Le coït psychique occidental dans toute sa cruauté. Musique repoussée au bulldozer, les vocaux sont un concentré orgiaque de tous les opéras de Wagner. Le drame jusqu'au bout du mélodrame. Sabotage : tuer pour exister. Ma vie dépend de votre mort. Je ne suis pas fou. Musique destructrice pour chant triomphal. J'ai enfin compris, il ne s'agit pas d'être un tueur en série, c'est l'humanité mortuaire qui nous gouverne qu'il faut liquider. Saboter l'humanité voilà le mot d'ordre. Répétez après moi. Agissez comme moi. Pulsion de mort hiroshimique ! Killed (Tué) : ce n'est pas le cri de haine de l'assassin, c'est la clameur heureuse de celui qui a franchi l'acte de la libération totale, désormais il ne fait plus partie de l'espèce humaine, il a transgressé la lisière interdite, il est là où vous n'aurez jamais la force d'aller, de l'autre côté de la ligne. En illuminative contrée inhuminative, là où n'existent plus les chaînes de l'esclavage psychologique. Ce morceau comme une flaque de vomissure puante que vous avez abandonnée derrière vous, pour que tous les autres se baignent les pieds en cette argile sacrée, signe du renoncement à leur stricte condition humanoïdisante, annonciatrice de futures renaissances. Conspiracy of silence (Conspiration du silence) : froissements de saturation, un peu comme un télégramme qui annonce une bonne nouvelle que l'on se dépêche de jeter et de brûler dans la cheminée pour que personne n'en puisse plus parler. Quant à cette Elle qui viendra, vous pouvez toujours essayer d'y croire. Vous n'engagez que vous. Any ressemblance is coincidental ( Toute ressemblance est coïncidence ) : un grand final. Une superbe mise au point. Philosophique. Métaphysique. Pour échapper à soi-même il suffit d'être deux, de se dédoubler. Etre l'innocence et à l'autre toute la noirceur, qu'il tue à ma place, ma souffrance l'autorise. Tout lui est permis puisque je ne lui interdis rien. La batterie comme un chemin de croix. Je détiens la candeur du héros, et lui manipule la hache de l'injustice. Le cauchemar du monde. Si vous voulez vous serez la fleur carnivore qui se dévorera elle-même. Ensuite ce sera le tour de votre double et de vous-mêmes. Vous tomberez dans la fosse que vous aurez créé de vos dents manducatoires. Mais vous ne serez pas encore sorti d'affaire, tout trou n'est qu'un fond entouré de murs, et plus vous irez profond plus les murailles se dresseront. Une fois que vous aurez écouté ce grondement de quatorze minutes, il vous faudra songer à classer le deuxième disque du Velvet Underground et la Metal Music Machine de Lou Reed sur l'étagère des comptines que vous aviez achetées pour endormir votre nouveau-né.

    Que dire de plus. Après l'effondrement de l'Union Soviétique, un magasin moscovite visant la clientèle des nouveaux milliardaires avait affiché un excellent slogan pour les attirer : '' Vous ne trouverez pas plus cher ailleurs !''. Pour attirer l'attention des amateurs de punk-noise-metal-musique extrême, je ferai de même : '' Vous ne trouverez pas pire ailleurs !''

    D'ailleurs le tirage de P.O.G.O. RECORDS ( N° 127 ) s'est épuisé en quelques jours...

    Damie Chad.

    *

    RIGHT

    Comment vous ne connaissez pas les RIGHT ! Et vous vous proclamez amateurs de rock ! Je suis décidément entouré d'une foule d'ignorants. Je comprends pourquoi votre âme a été exilée en cette vallée de larmes, une juste punition ! A votre décharge, j'avoue que moi non plus. Enfin presque. Parce que la pub du livre était passée dans le fil d'actualité de mon FB. J'ai vite abandonné la lecture de la quatrième de couverture, du n'importe quoi, un truc aussi frappé que les Rockambolesques d'un certain Damie Chad, une espèce de thriller politico-rock, à la quatrième ligne je suis passé à autre chose.

    Et puis un mail de Luc-Olivier d'Algange me demandant mon adresse pour un bouquin sur Pompéi. J'accepte, et trois jours plus tard, le facteur apporte non seulement le Pompéi book mais aussi cet Ambassador Hotel que j'avais dédaigné. Affligé d'un rhume aussi subit qu'inopiné, je me dis qu'une lecture légère aiderait mon esprit embrumé à passer ce désagréable moment. Confortablement installé dans mon fauteuil je me saisis de l'objet du délit comme aurait pu dire Maurice Scève, vachement lourd, près de six cents pages, et une police minuscule, l'ai dévoré toute la journée. Et une bonne partie de la nuit.

    AMBASSADOR HOTEL

    LA MORT D'UN KENEDY, LA NAISSANCE D'UNE ROCK STAR

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du Cram / Mai 2018 )

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    Normal que vous n'ayez jamais entendu parler de RIGHT, le groupe n'a jamais existé que dans l'imagination de Marie Desjardins. Marie Desjardins est canadienne. Ambassador Hotel est son sixième roman, elle a l'air de s'intéresser à des personnages limites, Nelly Arcan écrivaine suicidée à trente-six ans, Irina Ionesco jugée, en nos temps de puritanisme avancé au triple galop, coupable d'avoir produit des photographies malsaines de sa fille en des âges pré-pubères, cette Irina Ionesco qui accompagna de ses photos Litanies pour une amante funèbre, recueil de poèmes de Gabrielle Wittkop, dont Le Nécrophile fut longtemps interdit à la vente en France, tous les amateurs de rock gothique devraient avoir lu ce soleil noir, et plus proche de nous, petits franchouillards patentés, elle commit un roman, son troisième, sur notre couple national, Sylvie johnny une love story.

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    Reste maintenant avant de passer à RIGHT à liquider Bob Kenedy. Je vous rassure tout de suite RIGHT n'y est pour rien. Le hasard a voulu que le groupe soit de passage à l'Ambassador Hotel le soir où le frère de John Kenedy fut assassiné. Marie Desjardins sait ménager le suspense. Ce n'est qu'au bout de trois cents pages que nous aurons le témoignage des membres de RIGHT et de ses proches qui n'ont pas grand-chose à révéler puisqu'ils n'étaient pas présents dans les cuisines de l'hôtel dans lesquelles le sénateur a été abattu. Ce n'est pas le sujet du livre. Une incidence sur la carrière du groupe toutefois : jusqu'à la fin il leur sera reproché d'avoir surfé sur ce terrible événement : n'est-ce pas le soir même du crime que le groupe compose Shooting At the Hotel qui se vendra à des millions d'exemplaires. De quoi faire des jaloux. Surtout que le titre leur apporte la gloire, sont désormais juste derrière les Stones et le Zepplin.

    Alors RIGHT demanderont les lecteurs pressés. Du calme, ce n'est pas tout à fait le sujet du livre. Le héros c'est son chanteur : Roman Rowan. Nous le suivons depuis tout petit jusqu'au dernier concert de RIGHT. Un demi-siècle de carrière. Il est grand, il est beau, et au détour d'une page nous apprenons qu'il pousse la goualante rock à des cimes inégalables, qu'il atteint avec facilité des notes auxquelles Rober Plant n'a pas accès. Dans mes prochaines mémoires je vous apprendrai que je joue superbement mieux de la guitare que Jimmy Page. Mais laissons ces fariboles. Marie Desjardins est douée. L'a agencé son roman comme une partie de go que vous joueriez contre vous-mêmes. Ce qui est doublement idiot puisque vous seriez sûr de ne jamais perdre. Ni de jamais gagner.

    Pions noirs, pions blancs. Retournés. Les plus sombres sont ceux qui content dans l'ordre chronologique les concerts de la dernière tournée de Right. Les plus clairs, les moins darkness, rappellent dans un pseudo désordre temporel les épisodes-clés de l'existence de Roman Rowan. C'est bien fait. Le ton du récit n'est pas sans rappeler le Who I am l'autobiographie de Pete Townshend qui entre parenthèses vient de sortir son premier roman...

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    Jetons d'abord l'os du rock aux chiens affamés qui ne voient que l'ombre du monument qui s'étend devant eux. RIGHT est un groupe de hard rock progressif, musicalement nous n'en saurons guère plus. Roman Rowan est né en 1942, il fait partie de la deuxième génération du rock anglais. Celle des Beatles, des Stones, des Yardbirds, des Kinks, des Animals, des Who, qui va magnifier l'héritage des pionniers américains, le nom de Gene Vincent est l'un des rares cités. Roman Rowan suit la filière classique. Fonde son groupe Cool and the Shutters, qui n'est pas plus mauvais qu'un autre, ( un peu quand même ) mais le déclic ne vient pas. Personne ne les remarque. Le coup de pouce tant attendu n'a pas lieu. Marnent à mort au travers de l'Angleterre brumeuse et pluvieuse, se forgent des fans dans tous les minables troquets où ils jouent, le succès d'estime, celui de la vache enragée. Jusqu'au jour où les deux survivants Roman et Clive, son ami indéfectible, sont convoqués pour être admis à la première audition dans le combo Bronteshire qui a le vent en poupe. Tout de suite c'est la bataille d'égo entre Roman et Bronte le pianiste génial fondateur de Bronteshire. L'instinctif contre l'intellectuel. Roman le Dionysiaque et Bronte surtout pas l'Apollinien, même pas l'Apollon Lyncée ou Hyperboréen, plutôt un fils de la lune froide plutonienne. Roman impose le nom de RIGHT, exit Bronteshire. RIGTH explose, de 1967 à 1973 le groupe est au firmament. Roman le quitte sur un coup de tête. Ne reviendra que seize ans plus tard en 1989, rappelé par Bronte. Seize années d'interlude, peu amusantes... Puis ce sera au tour de Bronte de partir en 1997, pas le clash final car en 2000 Roman reprend le groupe, sans Bronte bien entendu, désormais le leader incontestable...

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    La dernière tournée. Pas de drame à la Steven Tyler le chanteur d'Aerosmith qui dans son autobiographie Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ? s'attarde longuement sur ses ennuis de voix qui a tendance à le lâcher en bout de carrière, celle de Roman claironne sans anicroche jusqu'à l'ultime prestation. Le problème est ailleurs. Dans sa tête. Dans sa vie. Qui revient. Ses souvenirs qui remontent. L'a beaucoup vécu. L'a tout connu, les groupies, les producteurs, les maisons de disques, les pressions commerciales et les projets foireux, tout le bataclan rock de A jusqu'à Z. Grandeur et démesure. Rock star absolue. Gloire, femmes, argent, sex and rock'n'roll mais pas de drugs. S'en méfie. Par contre l'ingurgite les vodka orange comme les gamins les fraises tagada. Nombreuses scènes de soulographie, vous êtes conviés dans les coulisses, parties fines, fêtes pimentées, réveils comateux, et l'on remet ça au plus vite. Roman n'est pas un moine et encore moins un renonçant. Partisan des jouissances sans entrave. Rien ne lui résiste. Tout pour être heureux. D'ailleurs il ne se plaint pas. Est conscient d'avoir une vie de rêve même si parfois les cauchemars ne sont pas loin. Beaucoup mieux qu'un esclavage d'ouvrier à l'usine ou une chaîne d'employé de bureau. Une quarantaine de concerts les uns après les autres, des ambiances répétitives, c'est un peu toujours le même turn over, mais l'on ne s'ennuie pas une seconde. Marie Desjardins nous tient en haleine. Car l'essentiel n'est pas là. Ce roman qui ne cesse de phantasmer le rock'n'roll ne traite pas spécialement du rock'n'roll. Même s'il ne parle que de cela. Au début, je lui reprochais son écriture, pas foutrement rock'n'roll, très classique. Je regrettais cette apparente dichotomie entre le fond et la forme, jusqu'au moment où l'évidence s'est imposée, ce n'est pas un livre sur le rock'n'roll, mais tout simplement un roman psychologique. Un peu plus remuant que La princesse de Clèves. Pas ennuyant pour un sou. Une longue introspection.

    Tout d'abord l'iceberg de carton-pâte. Roman Rowan court sur sa soixante-dixième année. Le temps idéal pour prendre sa retraite. A force de galoper après l'ombre de sa jeunesse l'on finit par l'attraper à la manière d'un boomerang qui vous revient en pleine figure vous casser les dents. Faut savoir arrêter. Preuve de sagesse. Mais aucune illusion. Une fois terminé, ce sera bien fini. La rock star devient comme monsieur tout le monde, ne lui reste plus qu'à cheminer paisiblement vers le cimetière. Une seule consolation, le nom que vous laissez gravé dans l'Histoire du Rock'n'roll. Hélas, vous n'êtes plus là pour le lire, et les marbres les plus durs ont tendance à s'effriter plus rapidement qu'on ne le penserait...

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    Evitons le pessimisme, gardons-nous du nihilisme. Roman a de la chance, sa femme l'attend dans un douillet foyer. Z'ont accumulé assez de fortune pour être à l'abri du besoin jusqu'à la fin de leurs jours. Mais c'est avant la fin que ça coince. Entre Roman et Gil, la mère de sa fille, il ne se passe plus grand chose, les sentiments se sont émoussés, Pénélope s'ennuie au foyer, lui reproche ses sempiternelles absences. Pour les polissonades au lit Roman est défaillant, l'a trop expérimenté sur les groupies complaisamment offertes, à moins que Dr Freud ne nous explique que c'est la froideur de son épouse qui a provoqué ces pannes de raidissement... Bref, Roman est comme l'Ulysse de Jean Giono qui s'attarde un peu trop auprès de multiples Calypso...

    Mais Ulysse n'était pas menacé par le calendrier. L'avait tout son temps pour décider de son retour. Roman est victime d'une date fatidique. Le couperet de la guillotine se rapproche. A toute vitesse. L'existence dorée ne durera plus longtemps, la nouba interminable se réduit comme peau de chagrin, alors comme un noyé qui voit sa vie défiler à toute vitesse avant le dernier glouglou, Marie Desjardins nous repasse le film des trépidations de Roman. Laissons de côté le décor rock'n'roll, fixons notre regard au plus près de Roman, pas plus loin que son corps attirant, souvent collé à des chairs de partenaires féminines, qu'il baise en toute quiétude, en toute équanimité d'âme. Frénétiquement. Goulument. Par tous les bouts. L'a brouté des clitoris par centaines. L'a enfilé des chattes en aussi grand nombre. Ne s'est privé de rien. N'a pas eu besoin d'user de violences. Toutes consentantes, s'offrant d'elles-mêmes au désir du mâle royal. La preuve : aucune ne lui a quarante ans plus tard fait le coup à-la-me-too-ce-n'était-pas-du-tout-romantique. Marie Desjardins prend ses précautions, il a aussi détruit des rêves de jeunes femmes qui ne s'étaient pas imaginées être des objets jetables de consommation courantes... Autres temps, autres mœurs. Autre époque. Le livre s'achève tout de même en 2015... Le rock'n'roll est une musique de voyous. Vous le saviez, ne venez pas vous plaindre.

    Roman s'attarde sur les quatre dames qui ont le plus compté pour lui. Sybil, une erreur de jeunesse. De toutes les manières c'est lui qui s'est fait avoir. On l'avait averti. N'a voulu en faire qu'à son désir. Il a joué, il a perdu. Il ne se plaint pas. Affaire classée. Chris qui n'a pas supporté ses infidélités, qu'il a quittée pour une scène de reproches du jour au lendemain. Elle a beaucoup souffert. Tant pis pour elle. Regrets inutiles. Gil, l'épouse en titre, la reine mère qui lui téléphone de moins en moins. Qui s'éloigne. N'a-t-elle pas un amant. Et puis Havana, qui voulait publier un livre de photos sur lui. A abandonné le projet parce que Gil... Havana, des rencontres ratées, épisodiques, une histoire inachevée qui l'obsède et le ronge. C'est toujours ce que l'on n'a pas vraiment obtenu qui nous manque le plus.

    C'est tout. A ceci près que jusque à la dernière ligne Marie Desjardins nous ménage une happy end. La vie en rose. Oui mais rose très clair. Layette. A part qu'à la toute dernière ligne, tout s'assombrit. Les coeurs tendres ne partageront pas mon avis. Marie Desjardins nous laisse dans l'expectative. A vous de tirer les conclusions. Elle siffle la fin de la partie alors que le ballon décisif est en plein dans la trajectoire de la cage...

    Ce n'est pas tout. Marie Desjardins est plus fine mouche qu'il n'y paraît. L'est une adepte de la théorie de la patate chaude. Le bébé de l'eau du bain que l'on refile au plus proche parce que l'on n'a aucune envie de procéder à sa toilette. D'abord du côté familial : Gil n'agit-elle pas envers Roman comme la mère de Roman qui a gâché la vie de son père ( qui l'a trahie ), la complicité entre Gil et leur fille Chance n'est-elle pas similaire à celle d'Erin envers Félicity la sœur de Roman, et Roman n'a-il pas induit par ses attitudes équivoques la reproduction d'un même et incapacitant schéma de base ? Famille je vous hais disait Gide...

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    Ce n'est pas du tout tout. Hypocrite lecteurs. Marie Desjardins vous a réservé un chien de sa chienne. Maintenant c'est à vous qu'elle refile la parmentière chauffée à blanc. Oubliez Roman et son rock'n'roll. Ambassador Hotel. La mort d'un Kenedy, la naissance d'une star n'est pas un roman de Marie Desjardins. Ce n'est pas moi qui l'affirme. C'est elle. Il s'agit d'un livre, une biographie non-autorisée d'un journaliste rock David Bridge ( over trouble water ) qui fait paraître son livre, le jour même du dernier concert de RIGHT. Ne se gêne pas la Marie, en retranscrit même quelques pages dans son roman. Vous connaissez l'astuce le tableau qui se représente lui-même comme un tableau reflété dans un miroir, reflété lui-même dans un miroir. Vertige abyssal ! Rien de plus terrible que la littérature qui se met à parler de littérature. Surtout si vous le faites par l'entremise d'un groupe de rock qui n'est lui-même que le reflet de groupes de rock ayant véritablement existé, parfaitement catalogués dans l'histoire du rock'n'roll. C'est quoi RIGHT ? Une idéale figure platonicienne des groupes de rock des années soixante-dix, ou un vulgaire artefact baudruchique et chimérique bricolé à partir d'anecdotiques fragmentations de ces mêmes seventies dinosaures ?

    Roman répond à la question : qu'importe que ce ce soit vrai ou faux, pourvu que ça se rapproche de la vérité de ce qui a eu lieu. De toutes les manières la vérité d'une chose n'est déjà plus, est déjà un peu plus que, la chose elle-même. Faudrait peut-être d'abord définir ce qu'est la – ou au moins une - vérité rock. Nous allons donc donner notre avis : ni plus ni moins que la vérité rock de Marie Desjardins. Et puis si le tubercule chaud bouillant que je vous repasse vous embarrasse, croquez-le, à pleines dents, de tous vos yeux, il est délicieux.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 247 : KR'TNT ! 367 : MARK LANEGAN / HUDSON MAKER / VINCE ROGERS / THE RIDE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 367

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    29/ 03 / 2018

    MARK LANEGAN / HUDSON MAKER 

    VINCE ROGERS / THE RIDE

    Lanegan à tous les coups - Part One

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    Même si vous traînez la nuit dans des cimetières, vous ne croiserez jamais un être aussi délicieusement macabre que Mark Lanegan. Dans les westerns les plus trash, comme ceux de Sam Peckinpah, vous ne croiserez jamais un être aussi puissamment tragique que Mark Lanegan. Le désespoir et la désolation qu’il exprime à travers ses chansons relèvent d’un autre univers, celui des contes macabres d’Edgar Allan Poe, ou pire encore, des contes immoraux de Pétrus Borel. Mark Lanegan n’appartient pas au petit monde de la pop amazonée des fnacochères aux yeux humides d’incompétence, non, ce personnage tient à la fois du loup-garou, du mountain man et du poète maudit. Son monde est celui des esprits et son odeur celle de la terre humide des tombes fraîchement creusées. Il n’en finit plus d’alimenter sa mythologie, il chante comme s’il creusait sa propre tombe, en quête d’une grandeur qui ne ressemble pas à celle qu’on imagine habituellement. L’univers de Lanegan se situe dans les profondeurs dignes de celles dessinées jadis par Piranese, celle de ces interminables enchevêtrements de caves et de soubassements qui décrivent mieux que ne le feront jamais les mots l’horreur de la nature humaine. Lanegan chante le péché originel, il chante la rédemption impossible, il chante la chute de l’ange, il transforme toute sa compassion luciférienne en démesure artistique. Il est l’un des artistes les plus intensément cruciaux des temps modernes. Et ce depuis le temps béni des Screaming Trees, c’est-à-dire depuis trente ans.

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    Chaque fois qu’on le revoit sur scène, que ce soit avec le Mark Lanegan Band, avec Isobel Campbell ou encore Greg Dulli dans les Twilight Singers, la magie opère. Ce n’est pas un hasard si le Café de la Danse affiche complet, ce soir de novembre dernier. Il arrive en boitant sur scène. Il porte des lunettes de vue. Et dès qu’il pose l’emplâtre de «Death’s Head Tattoo», il installe son ambiance, il diffuse ce capiteux mélange de drame et de beauté. Quelque chose de très baudelairien émane de Lanegan, mais baudelairien au sens de la modernité, cette modernité dont Baudelaire se prévalait en son temps. Puisqu’on parlait de tombe, voilà justement qu’il attaque «Graveddiger’s Song» - Tout est noir mon amour/ Tout est blanc/ Je t’aime mon amour/ Comme j’aime la nuit - Oui, ce diable d’homme nous fait l’honneur de chanter en français.

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    Puis il rocke le Café avec «Hit The City» tiré du vaillant Bubblegum. Pas de pire hellraiser que Lanegan. Quand il prend une ville, c’est pour la raser. Quand il prend une âme, c’est pour la dévorer - Il porte un joli nom, Saturne/ Mais c’est un dieu très inquiétant, nous disait Brassens. Saturne, c’est Lanegan. Il va aussi tirer de Bubblegum le très sexuel «Come To Me» et l’effarant «One Hundred Days» qui à force de beauté déchirée atteint à des horizons chimériques. Lanegan semble fonctionner par séquences, car il enchaîne quatre titres tirés de son dernier album, le sombrissime Gargoyle. Avec «Sister», il prouve bien qu’il est le seul à savoir twister sur des râles d’agonie. Il chante «Emperor» avec de faux accents de Bowie et lance «Nocturne» au heavy beat - That lonely drug is in my vein/ Blood stained - C’est encore une chanson d’amour, une rengaine de do you miss me, miss me darling et le diable sait si elle lui manque.

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    Et puis il refait exploser les canons de la beauté glacée avec «Beehive», une powerhouse digne du temps des Screaming Trees - Honey just gets me stoned / Just gets me stoned - Lanegan nous entraîne comme un courant, impossible de résister à une telle ampleur. Puis il enchaîne une séquence de cuts tirés de Blues Funeral, l’album aux roses, qui doit être l’un de ses meilleurs recueils d’élégies, à commencer par l’infernal «Bleeding Muddy Water», une ode à la destruction qui se révèle fatale - Muddy water/ Drowning in the rain / Now the rain done come - Et je vous prie de croire que le rain done come tombe comme une sentence, et pire encore, comme un couperet. Il monte encore d’un cran dans l’édification des édifices avec «Harborview Hospital» - Oh sister of mercy / I’ve been down too far to say / And all around this place I was a sad disgrace - De le voir donner vie sur scène à ces chansons qu’on connaît par cœur rend l’instant vécu particulièrement précieux. Il enchaîne deux stormers implacables, «Ode To Sad Disco» et «Riot In My House», surtout Riot qui blaste les colonnes du temple - Chaos is blossomming/ Run and hide little mouse - et cette brute fait rimer amputation avec strangulation. Lanegan ne fait pas dans la dentelle. Il fait aussi rimer medication avec levitation. Il réclame plusieurs fois l’extinction des projecteurs de voûte, et quand au contraire le régisseur les allume tous, Lanegan le menace violemment. Devant tout le monde.

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    La discographie de Lanegan s’étend comme un empire, sur plusieurs périodes : celle des Screaming Trees qui dure dix ans (de 1986 à 1996), puis celle des albums solo qui chevauche la troisième période, celle des collaborations avec Greg Dulli, Isobel Campbell et d’autres gens. On trouve dans chacune d’elles de quoi nourrir un régiment. L’homme se veut prolixe, dense, profond et le plus souvent insondable. On en a pour son argent, croyez-le bien.

    La période Screaming Trees valait largement le détour, car le groupe dégageait une forte odeur de mad psychedelia, certainement l’une des plus sauvages d’Amérique. Le mélange Lanegan-débutant/Gary Lee Conner parvint au terme de sept albums à se montrer explosif. Il fallut en effet six albums aux Trees pour accéder à Dust qui reste l’un des meilleurs albums de rock américain jamais enregistrés.

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    Leur premier album Claivoyance voit le jour en 1986 et ça kick-asse dès «Orange Airplane», avec la basse dévorante de Van Conner. Ses notes ravageuses vrillent littéralement la moelle de l’épinière. Quelle fabuleuse cavalcade ! Ach ! comme dirait le fantassin que vient de traverser un obus de mortier. Sur l’une des photos de pochette, Gary Lee Conner porte les cheveux décolorés et mi-longs : il ressemble à Jeffrey Lee Pierce. De Gary Lee à Jeffrey Lee, il n’y a qu’un pas, dit-on dans certaines régions du cerveau. Welcome in the Trees land, baby. Ils restent dans les dynamiques du diable avec «You Tell Me All These Things» et on ne s’en lasse pas. Le gros Conner commence à faire le con dans la cave. Les Trees sont déjà extrêmement puissants. Avec «Forever», ils passent à l’uptempo mal intentionné, soutenu par la basse pouet-pouet de Van Conner. Ces mecs n’en finissent plus de sur-jouer leur rock de cave, un rock fantastique car si déterminé. Lanegan envoie ses Forever voltiger dans les essaims et ça devient fascinant. Ignorer cet album serait une grosse erreur. «Seeing And Believing», c’est encore une bonne raison de suivre les Trees à la trace. Ça sonne comme un stomp de bricoleurs du dimanche, sauf que les bricoleurs ont du talent à revendre. D’ailleurs, ils virent poppy et Lanegan tente de se faire passer pour un gentil mec. Arf Arf, comme dirait le label australien. Et en B, ça revoltige de plus belle avec «I See Stars», eh oui, on voit trente-six chandelles, les Trees préfigurent toutes les figures, toute la mad psyché à venir, tout le bad mad doom de Dust, c’est un peu comme si tout s’embryonnait. Et dans «Lonely Girl», on voit le gros Conner cisailler la branche sur laquelle les Trees sont assis, oui le gros Conner tâte de la cocote de cisaille acide, la pire qui soit ici bas. «Turning» sonne comme un violent turn-over et le gros Conner ressort sa meilleure cocote, alors que font les Trees ? Ils s’envolent ! Ils apprennent à exister dans des paysages, mais il leur faudra plusieurs albums pour imposer leur génie psycho-psyché de psychout so far out. Ils bouclent cet album engageant avec le morceau titre joué à la pire heavyness de cave. On dirait presque un rock réservé aux hommes. Les Trees shakent leur shook de cave et expédient les choses ad patres avec une vélocité qui laisserait coi le con du coin. Et le gros Conner coule sur les ruines du rock un joli bronze psychédélique. Belle façon de créer un monde, n’est-ce pas ?

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    On l’a oublié, mais SST fut dans les années 80 le grand label underground sur lequel tous les groupes rêvaient d’atterrir. Lanegan et les frères Conner eurent cette chance et d’une certaine façon Even If And Especially When les fit entrer dans la légende. Dès «Transfiguration», on sent le souffle, comme dirait Claude Nougaro, le souffle du fast heavy rock a bit grungy et d’essence maladive, une sorte de 13th Floor poussé dans le dos, un incroyable brouet de mauvais blast. Voilà de quoi devenir acro. Ils sont venimeux comme la patoutou et bons comme le sable chaud du désert. Le gros Conner tape déjà des descentes aux enfers sur le manche de sa guitare et ce démon de Lanegan les rattrape au vol, rien qu’en chantant avec âpreté. Il faut voit ce cirque ! On a là un brouet qui ne traîne pas en chemin. Et le gros Conner n’en finit plus de fourrer sa dinde par derrière. Ach ! fait la dinde, tu me fais mal, mon amour ! Et ça continue avec l’infernal «Straight Out To Any Place», une sorte de garage punk dévasté de l’intérieur. On se croirait à la MJC d’Hérouville, c’est sans aucun espoir, les Trees jouent comme des dieux pour six lycéens boutonneux. Ah quel panache ! Ils percutent le firmament en pleine gueule et sanglé dans son blouson minable, Lanegan continue comme si de rien n’était, en parfait roukmoute aux mains tatouées. Baisé d’avance. Le pire dans cette histoire, c’est qu’ils démultiplient les exploits comme on le voit avec l’arrivée de «World Painted». Tout repose sur une sorte d’énergie du désespoir et les idées de son du gros Conner. Ce groupe est plein de germes, comme une bite pas lavée. Ça grouille, ça cloporte de mad psychedelia de MJC et ça pue le col en mouton. Le pauvre Lanegan chante comme il peut avec sa voix d’homme qui a mué trop tôt. Ça joue fabuleusement. Ils enchaînent avec un «Don’t Look Down» qui sent le brûlé. Quel fabuleux coup d’orientalisme à deux balles ! Le gros Conner se montre expert dans ce genre de subterfuge. Comme il n’existe pas de littérature sur les Trees, il faut se contenter de la musique. Et quelle musique ! Vivante et ultra-jouée. Tout le son est déjà là, en couches supersoniques et le gros Conner part sans prévenir dans des pointes de vrille. Il est un peu le Brian Jones des Trees, l’homme à idées. Ils jouent «Flying» au trépidant du tepid. C’est à la fois terrible, intéressant et dramatiquement original, d’autant que le gros Conner entre en transe ultraïque. Même chose dans «Cold Rain», le gros se fond dans la masse du lard avec un chef-d’œuvre de solo vrillard. Toutes les prémisses de Dust sont déjà là. On croit même entendre «Dying Days» ! On reste dans la puissance inexorable avec «Other Days And Different Planets». Les Trees n’en finissent plus de bâtir l’empire du rock psychédélique. Lanegan menait déjà sa barque vers le néant du rock, vers la fin des temps qui est l’aboutissement de toute chose sur terre. Mais il le fait avec un panache exemplaire. Peu de groupes ont su se lancer dans la gueule du loup avec autant de génie. Les Trees devaient savoir à l’époque que se trouvait parmi eux le meilleur chanteur américain. Ils finissent ce brillant album avec «In The Forest». Le gros Conner nous le claque d’entrée de jeu. Ils groovent leur garage avec des chœurs géniaux, on sent les moyens du bord - In the forest baby - Leur garage pue merveilleusement des pieds.

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    Tiens, encore une galette de Pont-Aven : Invisible Lantern, un SST des 1988, devant lequel on se prosterne jusqu’à terre, pour au moins quatre raisons, à commencer par «Ivy», pure énormité que vient challenger le gros Conner. C’est ultra sonné des cloches - Ivy on the wall - Et le gros part en vadrouille dans les strawberry fields forever de la fever noire, ah quel soudard épouvantable ! C’est bardé de son, psyché jusqu’à l’os et chanté à la force du poignet. L’amateur de psyché va se goinfrer de «Lines & Circles». Comme ce cut fume ! Ça frise la sorcellerie. Van Conner ramone sa cheminée, ses lignes de basse roulent comme des dragons sous la surface de la terre et le gros Conner envoie sa giclée de mad psyché tâcher le plafond. Et puis en B, ça repart de plus belle avec «Smokerings». On s’effare de la maturité de leur son. Chaque cut imprime sa marque. Si un groupe doit détenir le record d’effervescence de mad psyché, c’est bien les Trees. Ils sont même dans l’omniscience de la patapsyché et le gros Conner n’en finit plus de tartiner sa confiture et de wha-wahter dans sa choucroute, il reprend à son compte toute la sauvagerie du freakbeat britannique, telle qu’elle existe dans les solos de Bryn Hayworth ou de John Du Cann. Ça continue de mousser avec le morceau-titre. Ce chanteur phénoménal qu’est Lanegan plonge dans le son connerien, ça wha-whate à tous vents et Lanegan décrit sa réalité altérée - So I took my illumination into the street/ Just a flash of confusion when we meet - Il y a quelque d’irrémédiablement anglais dans leur attaque. Tiens, encore une énormité fatidique avec «Direction Of The Sun», pur classique garage, et le gros Conner entre dans le lard du cut avec la hargne d’un spadassin, mais un spadassin de Seattle. Ce gros lard est certainement l’un des plus grands guitaristes américains. Et l’album se termine avec «Night Comes Creeping», et on peut dire que ça reste excellent jusqu’à la dernière goutte de son. Ils précursent le cursif.

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    Le mini-album Other Worlds manque un peu de viande. Ils démarrent avec «Like I Said», une sorte de petite pop merdique qui à l’extrême limite pourrait rappeler le 13th Floor ou les Seeds. Ils sonnent comme des freluquets. On y entend même des pointes de vitesse. Ça sent la cave : l’écho du son est pourri. «Pictures In My Mind» sonne comme du garage de cul entre deux chaises. La pauvre Lanegan essaye de sauver les mauvais cuts et on entend même un mec jouer de l’orgue sur «The Turning». Le morceau titre va plus vers le garage, mais on passe à travers. Il faut attendre «Barriers» pour trouver un peu de viande. On les sent plus ramassés. Le gros Conner joue bien liquide alors ça redevient intéressant. Voilà d’où sort le potentiel : un son, une voix et un guitar-hero. Avec «Now Your Mind Is Next To Mine», on peut parler de garage d’arbre. Le gros Conner y voyage intensément et Lanegan survole tout ça, tel une chauve-souris à tête humaine. Fascinant !

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    On trouve un véritable coup de génie sur Buzz Factory : «When The Twain Shall Meet», amené à l’aune d’une énorme bassline de gras-double. Les Trees passent directement au maximum overdrive, le gros Conner fout la pression et Lanegan hante tout ça en filigrane avec une sorte d’abjecte abnégation. On croit entendre le rock des pendus de François Villon, l’ultime rock des délinquants du Pacific Northwest. Une merveille. Ce sont les effluves toxiques du meilleur never know which one stays, basse fuzz, gros Conner et démon Lanegan en glissade de which one stays. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Wish Bringer», pur jus de heavy rock, puissant et wha-whaté à outrance. Avec «Windows», ils retombent dans le power-rock privé d’avenir, ça pue la poste restante, ils vont vite, mais nulle part, même si le gros Conner s’épuise à jouer comme un cake. Il surjoue aussi «Black Sun Mornings». Il est en hyperventilation permanente de wha-wha. Lanegan gueule dans le néant de l’underground foutu d’avance. Quand le gros Conner repart en solo, plus personne n’écoute. Ils terminent avec «End Of The Universe», un vrai shake de Trees.

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    Retour aux choses très sérieuses avec Uncle Anesthesia. Ils viennent de signer sur Epic et dès «Beyond This Horizon», on voit trente-six chandelles. On sent qu’ils prennent du poil de la bête, la voix de Lanegan est plus posée et ça redevient vraiment très psychédélique. Ça prend même de l’ampleur, au sens vampirique du terme. Ils se dévergondent, comme si cela était encore possible. Nous voilà donc au cœur de la mad psychedelia, celle dont on rêve toutes les nuits. Ce cut dévale des pentes à toute blinde dans de grandes gerbes d’étincelles. Et ça repart de plus belle avec «Bed Of Roses». Lanegan se pose d’entrée de jeu et le groupe se montre terrifiant de présence cosmique. Ils se situent au très haut niveau, le niveau des inégalables. La voix porte si bien qu’elle enchante ce heavy balladif. Le géant Lanegan mène désormais le bal, le gros Conner lui livre les cuts clés en mains. Alors Lanegan shake le shook du morceau titre à coups d’awite et derrière, le gros Conner grouille littéralement de son. Ils tapent «Caught Between» au pire heavy groove qui se puisse imaginer ici bas. Lanegan entre dans la danse comme une étoile du Bolchoï chaussé de bottes de fantassin russe. Quel fantastique shoot de Trees ! Tous les germes de Dust sont là. C’est littéralement bardé d’accords et joué à outrance. «Lay Your Head Down» sonne plus pop, mais Lanegan ensorcelle. Il dispose de pouvoirs surnaturels. La grande âpreté de son timbre crée une ambiance unique au monde. Il colle aussi à la réalité du mythe Pacific Northwest avec «Something About Today». Il épouse les courbes de la psychedelia organisée, et le gros Conner monte tout ça en température à coups d’accords secs et nets. L’une de leurs spécialités est la plongée dans les abysses, et si on aime ça, alors il faut écouter «Alice Said». On sent bien que c’est le jeu favori de Lanegan, plonger dans les gouffres. Le gros Conner en crée les conditions à coups de tourbillons relentless et on assiste à une fin de cut séculaire, ils atteignent le paradigme du rock, de l’autre côté de l’univers. On ne se méfie pas de «Time For Light» et de son intro à la Led Zep acou. Ils basculent soudain en mode heavy sludge et Lanegan s’en vient exploser tous les contextes du cortex. De toute évidence, il n’existe rien de plus épais que cette purée. Avec «Ocean Of Confusion», ils passent tout simplement au déflagratoire. Lanegan chante comme s’il balançait de l’huile bouillante du haut des remparts. C’est joué au vertige pur.

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    Sweet Oblivion monte encore d’un cran dans l’excellence, d’autant que Don Flemming produit l’album. On retrouve leur effarante puissance dès «Shadow Of The Season». Toutes les puissances des ténèbres s’engouffrent dans la faille. Le gros Conner déverse des tonnes de psych-out et Lanegan lisse la surface de l’océan d’un simple revers de main. Il se dresse comme Neptune face à l’horizon alors que croise à ses pieds une monstrueuse bassline. Le hit de l’album s’appelle «Dollar Bill», un puissant balladif qui préfigure le Lanegan solo à venir. Cet homme incarne toute la mélancolie des loners de cabanes, les mountain men qui vivaient à la frontière et qui tuaient les ours pour se nourrir. S’il s’élève dans la mélodie, c’est à la dure, il est livré à lui-même, sans autre secours moral que celui d’une vieille bible - Goodbye mama -Et cette façon qu’il a de remonter son I’m gonna tell ya à contre-courant dans le groove - Torn like an old dollar bill - Fantastique descente aux enfers du paradis - Goodbye mama/ We’ve taken it too far - Rien qu’aussi puissant que ce «Dollar Bill». «Nearly Lost You» fume jusqu’au ciel, ça crache et ça tousse dans des remugles de basse. Ils renouent avec la tension maximaliste dans «Butterfly». Le «Winter Song» qui se niche en B vaut aussi le détour. Les Trees y cherchent un passage vers un nouveau monde. Ils sont puissants, gorgés de son. Ils enquillent le promontoire qui conduit à la meilleure pop du monde, in your heart. Avec ce hit à rebondissements, Lanegan mène bien la danse. On peut aussi se goinfrer de «Troubled Times», car voilà un fantastique battage d’accords, ces gens décollent comme des fusées en crachant la foudre. Voilà ce que sont les Trees, des diables bien profilés. Ils terminent ce bel album avec «Julie Paradise». Le gros Conner le plonge dans sa débauche habituelle, alors Lanegan n’a plus qu’à tailler et sabrer dans la densité, il chante à la pire niaque de l’Oregon et ça donne une invraisemblable dégelée de bersek balistique.

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    Et là, avec Dust, on entre dans la cour des grands, car il s’agit de l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. C’est du niveau de Blonde On Blonde, d’Hunky Dory ou encore du White Album, pour n’en citer que trois. Dès «Halo Of Flies», on est littéralement happé par une fantastique envolée psyché, une sorte de dream come true. C’est d’une puissance vitale qui dynamite toute idée préconçue. De soudaines envolées captent l’attention et quand Lanegan plonge dans le tourbillon, les frères Conner l’accompagnent. Le gros Conner joue du sitar de bonne franquette, comme Reggie Young au temps des Box Tops. C’est un modèle de mad psyché absolument définitif. Chaque fois qu’on réécoute cet album, on y découvre de nouvelles splendeurs, de nouveaux puits de lumière, de nouveaux ciels. On s’effare tout autant de cet «All I Know» joué au barrage d’accords contre le Pacific, et Lanegan monte sur ses grands chevaux de Tarquinia, c’est un rock d’une élégance invraisemblable. Lanegan sonne tellement anglais, il croasse son rock comme un vieux lord désabusé et rincé par les excès. Il vibre ses unissons dans une mélasse sonique qui relève de la magie blanche. Dès l’attaque de «Look At You», on sent le hit intemporel. Cette beautiful song fout des frissons partout - When I look at you/ I get a second chance - Impossible de résister à ça et le solo atteint des sommets aphrodisiaques. Et ça continue avec «Dying Days» - All those dying days/ I walk the ghost town/ Used to be my city - Puissances des ténèbres ! Et ce riff qui descend pour se fondre dans le génie vocal de Lanegan ! Il faut avoir vu ça dans sa vie au moins une fois. C’est atrocement bon - Can you ease my mind - Lanegan atteint au suprême, il chante comme un dieu de l’Olympe alors qu’autour de lui craquent des éclairs de génie psyché - All these dying days/ Aaaah yeahhh - S’ouvre alors un gouffre de vertige et avec Lanegan on cherche de l’air pour respirer. «Make My Mind» reste dans la veine du filon d’or et ce démon de Lanegan le reprend au pied levé, il chante ça au pire débotté qu’on puisse imaginer. Il reste encore une face à explorer. Cet album est une montagne, c’est sûr, car voilà «Sworn And Broken». Un solo d’orgue explose au paradis et Lanegan nous refout des frissons car il vibre son baryton jusqu’à la limite du supportable. Il chante ensuite «Witness» à la grande insistance et ils font du kashmir grungey avec «Dime Western». On est content quand ça s’arrête. Un album aussi bon n’a rien d’humain.

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    Puis le groupe s’est désintégré. Dommage. En 2011, le batteur Barrett Martin fit paraître ce qui devait être le dernier album des Trees, Last Words. Oh c’est sûr, on y trouve quelques belles énormités, mais ça n’est tout de même pas du niveau de Dust. «Black Rose Way» ravira les fans des Trees car c’est joué au riff mal intentionné. Voilà encore un cut terrifiant de présence et même spongieux. Ce gros Conner de pyromane joue avec le feu en permanence. Il semble ne s’intéresser qu’à la démence. Le son est en expansion. Tout aussi énorme, voici «Low Life». Imbattable car joué au psyché psycho puissant et bien développé, avec des guitares qui se chevauchent et ça vire rapidement à l’orgie de croisées. Ils sont tellement épais dans leur barn d’Oregon qu’ils en deviennent ganaches, c’est complètement bombardé du beat, le gros Conner pousse tout dans le corner. Encore une splendeur héroïque avec «Last Words», complètement écrasé de connerisation, ça coule de partout, voilà le son des Trees qui crient. Grands dieux, il pleut du sonic hell ! On trouve aussi du heavy sound à la pelle dans «Ash Gray Sunday», Lanegan y fond comme beurre en broche et le gros Conner joue le Grand Jeu de la mad psyché à la Daumal assurance. Les frères Conner chargent bien la barque de «Revelator», encore du très grand Trees car battu aux quatre vents. On a aussi un «Crawl Space» allumé d’avance. C’est d’une rare démence à cause de ce chanteur qui n’en finit plus de jeter ses mégots dans le sable pétrolifère de la mad psychedelia. Avec «Tomorrow Changes», Lanegan renoue avec quelques accents de «Sworn And Broken», il chante au divin des Appalaches et va chercher des accents inusités qui brillent dans la nuit comme des perles noires.

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    Toujours la même histoire, une bonne compile peut parfois rendre service et faire gagner de la place dans les étagères. Anthology. SST Years 1985-1989 passe en revue toute l’époque SST et c’est l’occasion rêvée de se refaire un petit shoot de «Transfiguration». On y retrouve le gros Conner qui fout le paquet. Et ce «Don’t Look Down» qu’on dirait joué par des sauvages ! C’est absolument terrifiant de présence trash et à l’époque, c’est le gros Conner qui mène le bal des vampires. On retombe aussi sur l’effarant «In The Forest» et le gros continue de faire le show dans «Other Days & Different Planets». On trouve ensuite quelques horreurs tirées d’Invisible Lantern. C’est là où la voix de Lanegan commence à se creuser. Le gros Conner bourre «Smokerings» de dégoulinades et Lanegan chante comme un guerrier apache. «Ivy» sonne comme une énormité infernale, une de plus. Tout ce qu’on aime dans le rock est chez les Trees. Ils sont certainement les maîtres de la mad psychedelia. En tous les cas, ils sont bien meilleurs que les autres à ce petit jeu. «Subtle Poison» sort de Buzz Factory et le gros Conner cherche à l’éclairer, mais on l’a vu, Buzz n’est pas leur meilleur album, même si des cuts comme «Windows» et «Black Sun Morning» bouillonnent d’énergie, surtout Black Sun que le gros Conner joue à la mésaventure de la Mesa du Cheval Mort. Quelle leçon de maximum overdrive ! Et puis bien sûr on retrouve en fin de compile ce coup de génie intitulé «Where The Twain Shall Meet», idéal avec un mec comme Lanegan derrière le micro. Et cet enfoiré de gros Conner joue tout son truc sous le boisseau. Arrghhh, comme dirait le sergent Speer, à l’instant même où une flèche lui traverse l’épaule.

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    Au rayon des collaborations, les trois albums que Lanegan enregistra avec Isobel Campbell valent autant le détour que ceux de Lee Hazlewood & Nancy Sinatra. C’est même aussi bon que tout ce que Gainsbarre enregistra jadis avec Jane. Le premier album du duo s’appelle Ballad Of The Broken Seas. Il date de 2006. «Black Montain» provoque un certain trouble car Isobel Campbell s’approprie sans doute inconsciemment la mélodie de «Scarborough Fair». Ce sont des choses qui arrivent. Le hit de l’album s’appelle «Honey Child What Can I Do». C’est là que ce joue le destin de l’album. Ça sent si bon le Brill, on assiste à une véritable élévation, elle avec sa voix lumineuse, lui avec son pesant d’or. Ah comme ils sont déments ! C’est orchestré comme au temps du Brill avec des guitares qui descendent du gratte-ciel et des nappes de violons rattrapées au vol par la voix d’ange d’Isobel. Il est évident que Lanegan frissonne de bonheur en chantant ça. Il vit dans l’instant le génie du Brill tel que décrit par Michel Butor. Par contre, le morceau titre sonne comme une vielle rengaine de taverne. Même chose avec «Rambling Man» : Lanegan adore ces vieilles ambiances qui puent le hareng fumé au tonneau. Isobel propose de la belle pop de Belle avec «Saturday’s Gone». Elle veille bien à son petit grain d’Ouest. Elle chante si divinement. C’est à Lanegan que revient l’honneur de refermer la marche avec «The Circus Is Leaving Town». Il se transforme pour l’occasion en Zampano alors qu’au loin aboient les chiens errants.

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    Deux ans plus tard paraît Sunday At Devil Dirt, un album attendu comme le messie. Lanegan et Isobel nous font ce qu’on appelle un joli duo d’enfer avec «Who Built The Road». C’est un enchantement. Elle ramène tout son attirail d’ingénue libertine dans la brise tiède des violons et ça donne une magnifique ambiance à la Gainsbarre - Dark and within the everlasting fire - C’est la pop du paradis. Nouveau coup de génie avec «Come On Over (Turn Me On)». C’est joué à la meilleure pop et orchestré à la diable. On sent nettement les vieux restes de Belle & Sebastian. C’est même digne des grandes heures de Phil Spector et des mélodistes en titre du Brill - Tell me baby / Tell me pretty lies - C’est attaqué à deux voix et ça reste chaud et profond. L’orchestration embarque tout, comme chez Gainsbarre, et ça bascule dans d’insondables abîmes de pureté évangélique - Is it any wonder how we lay awake all night - Et un certain Jim McCulloch part en solo, alors les choses rebasculent dans l’outrance de la prestance - Like a blind man driving at the wheel / Like a hound dog scratching out a meal - Lanegan ramène toute la beauté de sa violence. Pendant que défile «Something To Believe» et son mocking bird, on regarde les photos d’Isobel dans le livret et on s’exclame : «Diable comme elle est belle !» Et tout rebascule une fois encore dans le génie avec «Trouble». C’est chanté à deux voix comme dans un rêve. Lanegan et Isobel constituent l’une des meilleures combinaisons possibles - Down the line I will remind you / Listen how I love you - On croit entendre les accords de «Walk On The Wild Side», c’est dire si c’est bon. L’album fut curieusement réédité avec cinq bonus, et bien sûr, il n’est pas question de rater ça, surtout le «Rambling Rose Clinging Wine» que chante Lanegan sur fond de coups d’acou. C’est admirable de dépouillement - Don’t fret forever darling / Ain’t worth it - Puis Isobel chante «Hang On» comme une sainte. Elle finit par sonner comme une petite dévergondée. C’est tout simplement sublime - With you I stand on solid ground - On ne saura jamais si c’est un message destiné à Lanegan.

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    On retrouve encore un sacré clin d’œil au Brill sur Hawk paru en 2010 : il s’agit bien sûr de «Time Of The Season». On a des violons et du Hazlewood dans l’air doux. Lanegan et Isobel ne chantent pas, ils murmurent - And pair me with the circus clown/ At this time of the season - Le morceau titre est un instro tellement foutraque qu’il semble sortir tout croit de chez Cosimo. Ils chantent encore «Eyes Of Green» à deux voix et chaque fois, c’est une réussite. Lanegan ne rate pas l’occasion de glisser un petit blues funéraire avec «You Won’t Let Me Down Again». Quatre guitaristes l’accompagnent. Puis avec «Snake Song» joué à l’acou et au stomp, Lanegan revient à l’une de ses obsessions : moderniser le blues funeral. Il faut aussi l’entendre swinguer «Get Behind Me» à la vie à la mort. C’est incroyablement solide. Et puis avant de refermer cette page d’histoire, on notera que «To Hell & Back Again» sonne comme du Hope Sandoval. Même son, même voile de mystère.

    Quand Isobel Campbell et Mark Lanegan ont commencé à se produire ensemble, la presse s’est vite emparée du phénomène. On voyait des « La belle et la Bête » un peu partout, mais l’analogie n’était pas très heureuse, puisque Mark Lanegan n’a rien d’un Jean Marais, et Isobel Campbell rien d’une Josette Day. L’ambiance rouge de leur concert de 2008 au Trabendo n’avait pas non plus de lien avec la lumière si particulière d’Henri Alekan. On se trouvait aux antipodes du monde de Cocteau. Les comparaisons hâtives sont monnaie courante dans le microcosme de la critique musicale et les tâcherons souffrent le plus souvent d’une embarrassante carence culturelle.

    C’est vrai que le couple présentait un aspect magique, mais ils le devaient essentiellement à leurs pedigrees respectifs. Isobel avait participé à l’envol de Belle & Sebastian et Mark Lanegan avait déjà atteint le statut de légende vivante. Lanegan est sans doute le pire démon de l’histoire du rock. Les prêtres le craignent. Ils redoutent surtout son petit regard jaune, souvent posé de biais.

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    Ils donnaient ce concert au Trabendo pour promouvoir Sunday At Devil Dirt. Ils formaient un couple très particulier. Mark Lanegan restait comme à son habitude arrimé à son pied de micro et mal éclairé, mais on savait que c’était voulu.

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    Isobel Campbell semblait coupée en deux : très jolie blonde en haut et gros problème de poids en bas. Un cul de femme obèse. Pour aggraver les choses, elle portait un pantalon noir très moulant. C’était le seul défaut esthétique du spectacle, mais il était de nature à tout compromettre. Il y avait même quelque chose de choquant dans cette disgrâce : si on en revenait à l’analogie cocteauïque, elle pouvait inverser les rôles. Ils firent comme si de rien n’était. Isobel chantait d’une voix sucrée et très pop, Lanegan d’une voix très gave et très mélodique, et l’union des deux créait des ambiances de toute beauté capables de bouleverser les sens. Ce qui ne manqua pas de se produire.

    L’autre très grand chapitre participatif de l’œuvre de Lanegan, c’est le duo qu’il constitua en 2008 avec Greg Dulli, les Gutter Twins, pour enregistrer Saturnalia.

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    Lors du concert parisien des Gutter Twins en février 2008, j’eus clairement l’impression d’assister à un show extra-ordinaire. Greg Dulli et Mark Lanegan semblaient recréer l’illusion des dieux antiques. Plongés dans une fournaise de lumière rouge et littéralement effervescents, ils déversaient sur un public complètement fasciné des hymnes élégiaques, et cela avec une sorte de grâce fatale qui n’en finissait plus de les rapprocher du divin.

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    L’éléphantesque Greg Dulli et le fantomatique Mark Lanegan constituaient à l’époque une équipe de rêve. Les seuls auxquels on pouvait les comparer étaient les Righteous Brothers. Physiquement, Greg Dulli pourrait faire penser à Apollinaire, mais sans la bonhomie, car il émane du personnage et de ses récits une certaine violence. Il avoue avoir frôlé la mort à plusieurs reprises. Il se souvient d’avoir quitté un bar une hache à la main, avec le crâne ouvert comme une noix. 56 points de suture. Il ventripote allègrement et il ne porte que du noir, mais pas du petit noir à la mormoille. Greg Dulli est homme à s’habiller chez un tailleur. Depuis l’époque des Afghan Whigs, il a doublé de volume. On voit bien qu’il mène la grande vie : jolis poules, cigares et alcools chers. Il mange certainement comme dix et fume à la chaîne. Le voir fumer sur scène dans un pays où il est interdit de fumer en dit assez long sur son tempérament de fucker génial. Il faut le voir sur scène. Il y déplace énormément d’air. Il bouge constamment et fait parfois des pas de danse disco. Il plaque sur sa grosse Gibson noire de sacrées bordées d’accords. C’est un entertainer de premier ordre et un sacré cabochard. Il s’assoit parfois au piano pour placer des compos riches en teneur minérale. Greg Dulli est un songwriter complet, ample, épique au sens de Brel, et extrêmement envahissant. C’est un conquistadore de l’impossible, un fracasseur d’étoiles filantes. Les albums qu’il enregistre avec les Twilight Singers sont tout bêtement d’inépuisables mines d’or mélodique. Certains morceaux des Gutter Twins montent en drone, sur des atmosphères lourdement chargées d’orientalisme pervers. 

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    Ils jouèrent aussi ce soir-là les douze titres de Saturnalia, album fatidique. On y trouve «God’s Children», un morceau traversé par un véritable vent de folie. Ils vont croiser leurs voix au chat perché et c’est repris au mitoyen de l’unisson des géants. Voilà bien ce qu’il faut appeler une terrifiante merveille. Peu de gens savent croiser les chants d’une manière aussi fascinante. Avec «All Misery/Flowers», on retrouve toute la noire mélancolie de Lanegan. Il pose sa voix sur un beat à l’agonie - Oh Lord ! Oh Lord ! - Ce cut pue la mort. On retrouve son génie vocal dans «Idle Hands», un cut dégingandé de chien de piste. On assiste une fois de plus à une fantastique élévation, car voilà un cut hanté par les envols de guitare, puissants et si drus. C’est à s’en démettre de ses fonctions. Le timbre coloré de Lanegan donne à ce cut toute sa valeur aurifère. C’est un nouveau chef-d’œuvre interprétatif, un de plus. Lanegan pétrifie le rock dans des environnements de guitares extraordinaire. Comme Mick Farren, il sait sublimer ses chansons par le son. Encore une admirable prestation avec «We Will Lead Us». Il chante comme s’il agonisait à l’issue de la bataille de Gettysburg. Il est stupéfiant d’angélisme mortifère. Greg Dulli a beaucoup de chance de côtoyer un mec comme Lanegan. Dulli revient à ses chères embrouilles sentimentales avec «I Was In Love With You» et trouve facilement le chemin des ampleurs catégoriques.

    Il reste à explorer le troisième volet du Lanegan world, le volet solo, certainement le plus vaste et le plus déshérité des trois. Il fait l’objet d’un Lanegan Part Two.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Mark Lanegan. Café de la Danse. Paris XIe. 25 novembre 2017

    Screaming Trees. Clairvoyance. Velvetone Records 1986

    Screaming Trees. Even If And Especially When. SST Records 1987

    Screaming Trees. Invisible Lantern. SST Records 1988

    Screaming Trees. Other Worlds. SST Records 1988

    Screaming Trees. Buzz Factory. SST Records 1989

    Screaming Trees. Uncle Anesthesia. Epic 1991

    Screaming Trees. Sweet Oblivion. Epic 1992

    Screaming Trees. Dust. Epic 1996

    Screaming Trees. Last Words. The Final Recordings. Sunyata Records 2011

    Screaming Trees. Anthology. SST Years 1985-1989. SST Records 1991

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Ballad Of The Broken Seas. V2 2006

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Sunday At Devil Dirt. V2 2008

    Isobel Campbell & Mark Lanegan. Hawk. V2 2010

    Gutter Twins. Saturnalia. Sub Pop 2008

    TROYES / 24 – 03 – 2018

    3 B

    HUDSON MAKER

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    Vite, my pony, my riffle and my 3 B, suis en manque, plus d'un mois que je n'ai pas mis les pieds au 3 B, nécessité urgente de ma dose de rockabilly et d'amitié, la teuf-teuf dévore les kilomètres à la manière d'un xénarthre vermilingua myrmécophage – un fourmilier pour ceux qui ne sont pas naturalistes – qui se goinfre d'apocritas holometabolas acuelatas neopteras si vous voyez ce que je veux dire. Pas le temps de vous expliquer, Fabien est à la console et les Huson Maker sont déjà sur scène.

     

    HUDSON MAKER

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    Pas un de plus, pas un de moins. Trois. Vu l'ampleur sonore qu'ils dégagent cela suffit amplement. N'ai jamais compris comment l'on peut être un faiseur d'Hudson, mais pour le rockabilly, sont des spécialistes. Avec un son très particulier qui n'appartient qu'à eux. Sur sa batterie Franky vous envoie sa camelote ( premier choix ) franchement. Diapason haut. Si vous êtes devant, vous ne pouvez pas rester insensible à cette abondante mixture. Franky l'est un partisan du mouvement. Vous répand la mayonnaise en giclée continue. Devant une telle avalanche ou vous vous faites tout petit et vous disparaissez à jamais ou vous rajoutez vos grains de sel. Faut tout de même qu'ils soient gros comme des menhirs. Cela tombe bien, Alban en a toute une collection dont il ne sait que faire, vous les sort des cartons et vous les aligne par centaines sur deux files. Le genre de gars à qui il ne faut pas trop en promettre, s'occupe de tout, l'est partout, en cuisine derrière le gril, en salle à servir la purée.

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    Spécialiste du riff tranchant, pas le tomahawk qui vous assomme bêtement et qui vous estourbit si fort que vous n'entendez plus rien, non l'est un adepte du tranchant aiguisé, s'enfonce en vous de la tête au sexe, vous sépare en deux, puis il amincit les deux moitiés encore en deux, traitement de faveur, vous pouvez appréhender, en fait c'est incompréhensiblement revigorant, l'assistance se lance dans des danses des scalps de lindy hop endiablés, mais ce n'est pas tout. Alban n'est pas bien grand, sous sa barbichette, sa casquette et ses grosses lunettes, possède une seconde arme pour les combats rapprochés. Une rapière meurtrière, un rasoir démoniaque, une voix-laser qui vous découpe en tranches. Une lanière de fouet avec ce soupçon d'accent traînant pur-Appalache qui fait toute la différence. L'est comme Franky, doit avoir le rapide pour Yuma à prendre, pas du genre à parlementer, tirent d'abord et ne prennent même pas le temps de compter les morts. Le problème c'est que le troisième tueur est du même acabit. S'appelle Tof, l'a l'étoffe des grands. Cul de contrebasse à gros fessier, hanches marquées rehaussée d'un bustier affriolant, tient sa compagne très haut comme s'il lui serrait le cou. Peux vous affirmer que la gerce ne se permet aucune désobéissance. Ronronne comme un hélicoptère de combat, avec sa taille de géant et ses slaps de commando Tof n'a aucune pitié, du coup sous les coups elle chante comme si sa vie en dépendait, y met toute sa voix, ce n'est même plus les cordes qui claquent c'est le bois qui vibre de toutes ses fibres. L'a de l'énergie à revendre Tof, alors tout en continuant à faire subir un vibro-massage des plus éprouvant à sa big mama, il prête main-forte à Alban, se charge des chœurs, indispensables pour la rythmique rockab, z'avez l'impression d'enclumes d'une précision inouïe qui volètent parmi vous sans même vous effleurer, mais ce n'est pas tout, l'a encore une spécialité, le scream, un truc effroyable, vous voici transportés sur le Titanic au moment où l'iceberg s'en vient fracasser la coque, en plus il est sympa Tof, au cas où vous n'auriez pas entendu vous le refait rien que pour vous, version Andromède nue, ligotée sur son rocher, alors que le kraken lui épile à vif le sexe d'un coup de langue, toujours ce cri de terreur résonnera dans votre tête. Si vous croyez en avoir terminé avec Tof, ce n'est pas fini.

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    Ses copains ne lui octroient qu'un seul morceau. C'est dommage mais compréhensible. Il est strictement interdit de laisser les fauves en liberté. Tof ne chante pas. Il ouraganise, il démantibulalise, rawckabilly puissance mille, jamais entendu un truck si jouissif, un bulldozer qui passe sur la maison de votre ennemi. Qui arrache les plaques de béton et lui écrase dix-sept fois la tête à coup de godets. Et vous criez, encore, encore !!!

    Attention, j'ai peur de me faire mal comprendre. A me lire vous allez les prendre pour de sombres brutes sans foi ni loi. Ce serait un tort. Beaucoup de finesse. Excursionnent dans le rockabilly avec la doigté de l'entomologiste qui fait le relevé des espèces rares, savent aussi ce que c'est que le bluegrass – Alban profite de l'occasion pour faire sonner sa guitare comme un banjo - et toutes les nuances du country, je n'ai pas dit qu'ils vous égrenaient des balades sentimentales à vous faire pleurer dans votre mouchoir, ce n'est pas le genre de la maison, ils ont le crocodile mais pas les larmes, font plutôt dans les chevauchées d'outlaws et les descentes de rapides, vous ne vous ennuyez jamais avec eux, que ce soit sur les reprises des classiques ou sur leurs propres morceaux, ils veillent particulièrement à la finition de la construction, z'ont un style et un doigté qui n'appartiennent qu'à eux, certes les titres déboulent avec la soudaineté des grandes glaciations néolithiques, mais dedans c'est agencé au millimètre, c'est du réfléchi, du pensé, du pesé, le brut de décoffrage mais servi avec la pureté inventive des lignes dans le détail de l'ameublement. Livraisons expéditives mais avec soins scrupuleux. Hudson Maker, le plaisir du rocker !

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    Encore une chaude soirée au 3 B ! Merci Béatrice Berlot !

    Damie Chad

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

    *

    Ouvrir chaque matin sa boite à lettres est la dernière aventure qui puise arriver à l'homme moderne. Que sera-ce aujourd'hui ? L'enveloppe rose parfumée d'une admiratrice en manque de tendresses, une lettre d'excuse du percepteur me signalant que pour les services rendus à la Nation par mon blogue KR'TNT ! je suis exempté à vie de toute imposition ? Voyons voir, je tire doucement le couvercle, glisse un œil et pousse un rugissement de colère à effrayer tous les lions de Tanzanie. Il y a tout de même des gens qui ne se gênent pas, si je tiens le mec qui a garé son hydravion dans ma boîte à surprises, va y avoir de la chair fraîche sur les murs. Un truc qui pèse au minimum deux tonnes et demi, à y regarder à deux fois ça ressemble plutôt à un engin explosif déposé par les services secrets, soyons circonspect, inspectons cet étrange objet aux flancs légèrement bombés, peut-être un de ces cercueils que la Maffia sicilienne envoie en guise d'avertissement à ses futures victimes, hum ! hum ! Prudence est la mère de la sécurité, j'ouvre précautionneusement la grosse enveloppe rembourrée de papier kraft et me saisit de l'objet que j'extrais doucement de sa gangue protectrice... Je ne m'y attendais pas, je suis désolé pour tous les chercheurs du trésor de Rennes-le-Château, le Graal est là, entre mes mains, si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à lire l'étiquette :

    THE REAL ROCKIN' MOVE PROJECT

    UN FILM

    DE

    VINCE ROGERS

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    La mine d'or de l'allemand perdu enfin trouvée. Sur ce coup j'ai devancé Blueberry, just call me Damie Chad, Babe, trente ans que tout le monde en cherche un exemplaire, et l'est là modestement posé sur ma table. Ça ressemble à un canon de DCA livré en pièces détachées par IKEA, même pas besoin d'une notice de montage tout juste la nécessité d'un ordinateur et éventuellement d'une paire de lunettes pour les myopes Je suis bon prince, vais vous décrire toutes les pièces une par une, ne me remerciez pas, c'est pour votre édification morale.

    NEW ROCKIN' IN NICE N° 2

    30 Ans de Rock sur la Côte

    Un petit mot tout d'abord sur Vince Rogers. Facile à présenter, un activiste rock'n'roll. Ce n'est pas de sa faute, tombé tout jeunot dans la marmite, ne s'est jamais remis de la morsure de l'Alligator. Les docteurs disent qu'il n'existe pas d'antidote et que le poison circule en toute liberté dans vos veines jusqu'à votre mort. Et que même après... mais ceci est une autre histoire. En plus n'a pas eu de chance, le bouillon véhiculait un autre virus, celui du cinéma, pas le septième art, la pire des souches, celles des séries qui commencent après la lettre Z, les innommables, les cradingues resplendissantes, celles dont la bienséance se détourne en se bouchant le nez. Demoiselles méfiez-vous si Vince Rogers vous invite chez lui, ses estampes japonaises ce sont les couvertures de fort mauvais goût des romans policiers et d'horreur des années cinquante, ne dites pas que je ne vous avais pas averties. Evidemment possède un dernier vice Vince, dont il ne se cache même pas, l'écriture. D'ailleurs ce New Rockin' In Nice n'est autre que la réédition d'une infâme brochure parue en l'an de disgrâce 1987. Récidiviste trente ans après. On ne peut pas vraiment lui reprocher de manquer de constance dans le funeste entêtement rock'n'rollien.

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    Sans en avoir lu la moindre ligne vous aimez déjà. Un fanzine comme l'on n'en fait plus. Encre juteuse, photos si noires qu'elles retrouvent la splendeur des bois d'un Félix Valloton, slappé à la machine à écrire. Maquette drumée comme un solo de sax. Pas tout à fait les Riches Heures du Duc de Berry, plutôt Nice, baie des devils' in disguise.

    Normal, Vince Rogers l'est de Nice – arrêtez de criailler les filles, voici son adresse – DERRY SCIARRA / 7 Place Garibaldi / 06 300 Nice – en plus s'il vous refuse, il vous refile un lot de consolation, pour 38 Euros vous emportez une réplique de la big box.

    Je ne m'étends pas – vous comprendrez pourquoi en poursuivant votre lecture - sur le contenu de l'opuscule pourtant à vous faire péter les opercules, l'histoire du rock'n'roll à Nice, entendons-nous sur le vocabulaire, le premier rock'n'roll, celui que Vince Rogers surnomme the real rock'n'roll, n'a duré que trop peu de temps, de la toute fin des années cinquante au surgeon des années soixante, raconte l'histoire, les débuts fabuleux d'innocence autour de la Coupe du Monde de Rock'n'roll de Juan-Les-Pins, qui révéla Vince Taylor, un profond traumatisme, une secousse sismique, qui précipita le prurit rock sur la Côte d'Azur et hâta l'émergence d'un mouvement rock sur la région de Nice. Pour les contemporains ce ne ne fut qu'un feu de paille mais une explosion atomique pour toute une génération. Le showbiz se dépêcha de poser les barrières anti-radiations, communément appelés les Yé-Yé, mais la contamination n'en continua pas moins de pervertir certains esprits. Toutefois question rock entre 1968 et 1977 le rock azurien perd sa belle couleur, Vince Rogers reste totalement réfractaire au rock planant et progressif... Le real réveil arrivera avec les Punks et leur retour à un rock primaire et batailleur, qui se conjuguant avec la mode revival suscita le sursaut rockabilly des années 80... Vince Roger cite un peu trop rapidement les Bachwards, les Sherry Ice, les Boppers, les Jumpin' Cadors, les Blue Suede Shoes, les Ducky Boys... tous éclos dans la zone niçoise...

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    A tout seigneur tout honneur, Dick Rivers et les Chats Sauvages ont leur parcours et leur discographie traités beaucoup plus longuement, mais ils ne sont pas les seuls, Vince Rogers détaille aussi la carrière des Loups Garous, contemporains des premiers efforts d'Hervé Forneri ( aka Dick Rivers ), qui se firent doubler en quelque sorte par les Chats Sauvages... rappelle aussi les origines niçoises : de Claude Ciari guitariste des Champions qui fit carrière au Japon, José Salcy – nous retiendrons son J'en Parlerai à mon Cheval – les Fingers groupe musical à la Shadows, tout amateur de rock se doit de posséder Special Blue-Jean dans sa discothèque, de Mark Robson et Le Poing ( avec Jojo Dumoutier qui druma derrière Gene Vincent et Maxime Scmitt dont parmi les futurs hauts-faits de gloire nous recommandons la lecture de la BD Vince Taylor N'existe Pas ) et enfin the last but not the least, Vince Rogers himself.

    Bref un document de 80 pages, un collector indispensable, écrit par un témoin et un propagandiste de l'époque. Un véritable stalker qui nous guide sur les chemins interdits des zones irradiées.

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    Nous passons rapidement sur les formats A5 couleur – notamment le magnifique poster VINCE ROGERS and THE BLACK VAMPIRES, et la série de photos sur les Studios de la Victorine – le temps d'apprendre que si le fils est devenu rockeur, le père était cascadeur – car nous n'en sommes qu'au tout début du REAL ROCKIN'MOVE PROJECT reste encore les quarante-huit séquences du film réparties sur trois DVD à visionner.

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    DVD 1 :

    FROM NICE TO ATTIGNAT :

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    En route sur mythique la nationale 7, photographies, scènes filmées et séquences INA s'entremêlent, nous n'allons pas à Paris mais à Attignat, bourgade de l'Aisne qui serait restée dans l'anonymat le plus complet s'il ne s'y déroulait pas depuis une trentaine d'années le festival de rockabilly le plus important de France. Ne soyez pas pressés, l'on se balade au rythme chaloupé du blues, l'on visite le musée des vieux tacots, l'on a droit à Charles Trenet interprétant son hymne légendaire à la gloire de la fameuse artère des vacances au soleil, l'on traverse les vieux goudrons de la vieille France d'antan et provinciale, déclassés par les rubans autoroutiers, la caméra s'attarde sur le passé révolu, si loin et si près pour reprendre le titre de Dick Rivers, à croire que l'on court sur les sentiers d'une jeunesse perdue. Pompes à essence rétro-sixties, Amérique phantasmée, la nuit tombe sur un sax langoureux, le matin se réveille aux congas, fantômes de baigneuses bikini et garages en déshérence fermés à tout jamais. Carcasses de vieilles voitures, tous les êtres vivants vous manquent, l'on n'attend plus que l'impossible résurrection. La voici au bout de la route, l'affiche jaune annonçant le Festival Good Rockin' To-night d'Attignat. Si le passé ne peut pas venir à toi, c'est toi qui iras à sa rencontre.

    Rock Aroud the Clock pour réveiller les ombres, les fameux mobil-homes d'Attignat et les hommes mobiles qui se pressent sous le marabout des marchands du temple du rock. Plans fixes sur des two-tones shoes et de minuscules extraits de shows, Vince Rogers ne recopie pas, fait apparaître un peuple de zombies rassemblées en une étrange nuit du Walpurgis. Robes à motifs et mollets tatoués. Dehors au soleil, carrosseries américaines rutilantes, gros bonbons de toutes les couleurs chouchoutés, cela suffit-il pour que le passé renaisse de ses cendres ?

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    THE FRENCH RIVIERA IN THE GOLDEN FIFTIES

    ANDD THE EARLY SIXTIES

    Ouverture en bande-annonce hitchcockienne avec Gary Grant et Grace Kelly au générique, action on the french Rieviera, sure ! Très logiquement sur la Croisette de Canne apparaissent starlettes de cartes postales aux seins dénudés. It was a good time ! Film appâts à touristes américains, photos en blanc et noir, colorées, et en couleurs de Juan-Les-Pins, en toile de fond l'orchestre typique de Bob Azzam ( pas de quoi se défenestrer de plaisir ), attention sous la variétoche de pacotille se profile le twist du générique du gendarme de Saint-Tropez, l'ultime – Vince a pitié de nous, glisse quelques photos de Brigitte Bardot - pente à gravir avant le ROCK !

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    Documents télé avec la grande parade de la Coupe du Rock de Juan-Les-Pins, le temps d'apercevoir dans ( ou sur ) leur décapotables Danny Boy et ses Pénitents, Les Chaussettes Noires, Les Chats Sauvages, et quelques bout de séquence live de Rocky Volcano, d'Hallyday ( matez l'inénarrable batteur jazz derrière ) qui vous conseille de laisser tomber les filles et Dick Rivers ( ses Wild Matous au profil beaucoup plus rock ) et enfin Jenny Rock, si vous ne la connaissez pas, ne regrettez rien.

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    Pochettes de disques et extraits de morceaux, les Loups Garous, z'ont le bon son, celui des Chaussettes Noires et le chanteur qui fait sa grosse voix à la Eddy Mitchell de l'époque, Les Champions qui accompagnèrent Gene Vincent, Claude Ciari à la guitare mais l'on préfèrera celles plus bourdonnantes des Milords qui ronflent presque à la Link Wray, dommage qu'ils y mêlent ces passages par trop sucrés destinés à capter les oreilles du grand public, les Monégasques réussissent mieux à imiter le vol psychotique du moustique... Tous ces quarante-cinq tours de groupes à guitares des early sixties sont à réécouter, trop souvent dédaignés de nos jours.

    Saut dans le temps et la qualité, Chuck Berry est sur scène, taisez-vous et écoutez. Dieu le père est devant vous, les anges maudits du rockabilly ne tarderont pas à suivre. Les Jumpin'Cadors trio à pertinente dégaine, le son encore près des groupes soixante mais un chant au phrasé plus authentiquement américain, les Sherry Ice davantage au point mais qui oublient un peu trop le poing de la hargne.

    Dick Rivers et sa baie des Anges, pas vraiment ce qu'il a fait de mieux, les Daisy Ducks groupe féminin qui vous interprètent une version d'Hoochie Coochie Man qui ne renforcera pas vos convictions féministes, heureusement que le frangin Willy Eckert et les Nighthawks sont là pour relever le niveau familial. Un bon blues rock qui secoue dans le sens du vent. La séquence se termine avec les Playboys grimés en black faces qui effectuent le chemin inverse délaissent le blues électrique pour se tourner vers un mélange de rag-time-hillbilly des plus originaux. Et l'on se retrouve au début des années 2000 avec les Swamp cats trio rockabilly, caisse claire, slappin' contrebasse, guitare bien électrique, ainsi se termine ce voyage dans le rock niçois qui résume assez bien quarante ans de real rock français.

    CINE A NICE ET SUR LA CÔTE

    ACTEURS ET CASCADEURS

    Je passe plus rapidement. Je ne suis pas un grand amateur de cinéma. M'attarde juste sur le personnage d'Eddie Constantine qui fut un peu le James Dean ( moins de fureur, davantage de bonne humeur ) du rock français. Acteur et chanteur à l'humour qui inspira beaucoup un certain Eddy Mitchell qui lui doit beaucoup. Son hit Cigarettes Whisky et P'tites Pépées avait un esprit beaucoup plus rock que les pitreries de Boris Vian...

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    Une belle séquence dédiée à Laurent Sciarra le père de Vince, pour tous ceux qui aiment les cascades et les voitures tamponneuses avec Gil-Delamarre et Jean Marais. Emotions et tôles froissées garanties.

    DVD 2

    LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

    DU VINTAGE / DE LA CÔTE

    VINCE ROGERS

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    Vince Rogers le chanteur. Toute une carrière. Vince Rogers and The Losers, Vince Rogers and The Rebels. Vince Rogers Rockin' around the Cave, Vince Rogers Real Rockin' Rock, Hommage à Vince Taylor, Vince Rogers présente New Rockin' in Nice, Vince Rogers of the Haunted Train, Définitivement Real Rock Vince Rogers, Vince Rogers and The Squeletons, Frankeistein Be Bop, Vince Rogers and The Black Vampires, Gene Vincent the Legend, MP3 and Video-Stations, Wild rock Fifties and Wild Rockabilly, succession de photos et flyers d'annonces de concerts, de clips, esthétique post-apocalyptique, tous aussi beaux que des poèmes graphiques, la forme qu'aurait dû donner Arthur Rimbaud aux textes d'Une Saison en Enfer. Je ne vous recommande pas la bande-son, Vince est au micro, vous auriez peur, du lourd, du poison, du visqueux, de la vidange de lavabo, tout ce que les Cramps n'ont jamais osé faire, ce que devait psamoldier Sreamin' Jay Hawkins dans son cercueil, de l'infra Race with the Devil de Gene Vincent, du ugly comme écrivait Edgar Poe pour caractériser la Chute de la Maison Usher.

    Une version live de Twenty Flight Rock transgressée en trente septième étage avec mal aux pieds assuré. Batterie lourde, Vince prêt à bouffer le cromi, humour de croque-mort au bord de la tombe, rythmique qui sautille allègrement comme un squelette dans les allées du cimetière, une version à ne pas en croire vos oreilles peu habituée à la musique des catacombes.

    Rockabilly King, pas d'images filmées cette fois-ci, juste des photos d'un noir épais et de gris blafard, encore plus flippantes, directement chanté depuis le fond d'un égout, une guitare rayon de soleil et une voix qui s'obstine à ne pas sortir des Enfers comme l'Eurydice perdue d'Orphée. La bête grogne au fond de son terrier. Je vous en prie n'allez pas la voir, vous n'en reviendriez pas. Un grand moment de rock'n'roll. Peu compatible avec ce qui existe en ce bas-monde.

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    Teddy Boys Boggie. Vince ne porte pas de drape-jacket, n'empêche que vous êtes dans de beaux draps. Toujours cette voix de mort qui be-boppe très grave, à vous faire grignoter les pissenlits par la racine et vous régaler des vers de terre... suivi d'un salmigondis d'extraits du répertoire de Vince Rogers, jetez les deux oreilles sur la french version déjantée de Johnny Be Goode, belles images en papier calque des musicos qui assurent, plus loin l'on sent des relents de Johnny et d'Eddy dans la voix, Vince est un amoureux de rock français, c'est bien ces extraits, mais aussi très frustrant, l'on aurait préféré un récital entier. Un jalon important du french rock'n'roll.

    Autres facettes de Vince, les bouquins. Sa revue Rockin' In Nice, les couvertures défilent, beaucoup consacrées au cinéma, films d'horreur de préférence, fantastique aussi, des sommaires laissent entrevoir des richesses insoupçonnées de Monsieur Tout le Monde et des curiosités déviantes. Un fanzine fabuleux, de mauvais genres, tout douteux-goûteux, que les enfants lisent en cachette. Juste pour y apprendre la vie. Et ses débordements.

    Tiens ce n'est pas Vince Rogers. Enlevez vos mains, petits saligauds, c'est Miss Domi, la copine à Vince. Connaît le prix de l'or Mister Rogers, la montre un peu mais pas trop. Par contre question objets, l'a le goût foireux ( mon préféré ), vous entraîne sur son stand de brocante brock'n'roll, le genre d'endroit où vous jurez de ne pas même y jeter un coup d'œil et vous restez deux heures à admirer, je vous recommande la poupée de collection à vingt euros pour votre belle-mère...

    CINEMA AVEC ERIC ESCOFFIER

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    Un ami de Vince aussi frappé que lui, un spécialiste des films Vampire et Loup-Garou du cinéma anglais, des affiches qui se fichent dans votre cerveau et qui refusent d'en sortir, âmes sensibles s'abstenir. Des visages de filles si hallucinés de terreur que jamais vous n'en embrasserez une autre de tout le restant de votre vie, des couleurs à vous arracher les yeux, la belle voix grave de Vince qui s'y connaît autant que qu'Eric Escoffier, trouve la juste formule : un art baroque.

    FANTAXTIQUE BD

    Séquence BD avec Fantax l'invincible... premier super-héros à la française ( presque un Frantax ), qui après-guerre eut un immense succès populaire et du coup fut inquiété par les autorités pour sa violence...

    Deux trop courtes séquences finale, l'une sur Stephan Cannas et son rêve customisé américain, l'autre sur Miss Dey and the Residents, de Nice bien sûr, qui chante dans le style female Rock fifty... z'auraient nécessité un peu plus d'explications.

    DVD 3

    LES FIGURES EMBLEMATIQUES DU ROCK / DU CINé

    DU VINTAGE / DE LA CÔTE

    Revue des personnages qui ont contribué, à leur manière, à la poursuite de l'inaccessible rêve du Real Rockin' Roll de Vince Rogers... Ce troisième DVD est à regarder comme les pièces d'un puzzle en vrac dans une boîte mais dont l'assemblage donne un réel aperçu des différentes passions qui peuvent habiter l'esprit des rockers.

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    Le restau-musée de Luca dédié à Elvis dans la bonne ville de Menton, présentation de Matty - doit avoir cinq ans en costume blanc qui imite Presley - me méfie toujours un peu de ces enfants qui sont les clones des rêves de leurs parents... Phill Rizza interprétant une version peu originale de Blue Suede Shoes, vues éparses du festival Drap'n'Rock organisé par Philippe Teboul, extraits similaires d'une réunion du Rockin'Club de Patrick Mambo, Christelle Di Lorenzo beau brin de pin-up, quelques pas de danse, visite de Crazy Rhythm la dernière boutique vinyl-rock de Nice, présentation hommagiale de Ritchie, Teddy Boy de toujours, sur fond d'Alabama Motorcycle et Club Harley, Chris Rebel affine et confirme sa banane de Teddy Boy, explique son passage rock fifties ( Gene Vincent, Vince Taylor ) au Teddy boy rhythm de Crazy Cavan dont Vince importa les premiers disques à Nice, belles carrosseries et film poursuite de voiture vintage réalisé par Vince, images floues et flashantes, danse avec la mort et la lumière des phares dans la nuit, Franck remonte son buggy vintage, le recrée à partir de rien... à ce qu'il paraît le dieu de la bible en aurait fait autant pour l'univers, mais on n'est pas obligé de le croire, Frank si. Images à l'appui. Idem pour Vince Rogers qui dans les deux dernières minutes se présente en train de monter son chef d'œuvre que vous achevez de visionner.

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    Paul Valéry a laissé dans ses papiers un précieux tapuscrit intitulé Manuscrit trouvé dans une cervelle. Vince Rogers nous fait le même coup, nous fait cadeau du Film trouvé dans la cervelle d'un rocker. Evidemment si vous n'êtes pas un adepte du real rock'n'roll, vous risquez d'être décontenancé. Rassurez-vous cette splendide magic big-box n'a pas été conçue pour vous. Only to the Happy few. The real rockin' thing !

    Damie Chad.

    Pour les amateurs : dépêchez-vous, tirage en cours d'épuisement !

    THE RIDE

    STEPHANIE GILLARD

    ( 2018 )

     

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    Ce n'est pas un western ou alors très terne, un documentaire, une longue chevauchée de quatre cent cinquante kilomètres au travers du Dakota pour commémorer le massacre de Wounded Knee du 29 décembre 1890. Qui marqua la fin des guerres indiennes... Attention dès les premières images la mythologie en prend un sacré coup, nos indiens, accoutrés comme nous, dans leurs gros 4 / 4 ressemblent étrangement aux cowboys modernes d'aujourd'hui. Vaudrait mieux en rester là et ne pas s'aventurer plus loin. Dès que l'œil s'accroche aux détails la sordide réalité vous saute à la gorge. La misère.

    Le synopsis du film est très simple : suivre une trentaine de gamins sur leurs poneys qui vont refaire le trajet effectué par les Lakotas qui s'enfuient à pieds de la réserve dans laquelle Sitting Bull vient d'être assassiné pour rejoindre les chefs Big Foot et Red Cloud... Le septième de Cavalerie les rattrapera à quelques dizaines de kilomètres de leur but, et une fois désarmés, en abattra à la mitrailleuse trois cent cinquante, femmes et enfant compris... aujourd'hui les bonnes âmes qualifieraient cela de crime de guerre...

    Mais aujourd'hui en fait tout le monde s'en fout. Un film glaçant. Pas parce qu'il se déroule en plein hiver de neige et de vent dans des paysages d'herbe jaune désertique, par la réalité qu'il montre. Les indiens n'ont pas seulement perdu la guerre, ils y ont laissé leur âme. L'est sûr qu'un bon indien est un indien mort, d'ailleurs dans le film ils sont tous morts. N'en reste plus. A part un petit groupe d'adultes qui organisent la cavalcade annuelle, sont à la recherche de leur fierté, essaient de transmettre l'héritage ancestral à la nouvelle génération. Des gamins, pas beaux du tout, pour beaucoup bouffis de mal-bouffe, engoncés dans la chape de plomb de leur acculturation. Certains regards s'allument devant les portraits de Sitting Bull et de Red Cloud mais d'autres s'embrument de larmes lorsque la console ne marche plus. Des pauvres sans avenir et sans passé. Sont à l'image de leurs accompagnateurs, qui tentent de s'accrocher à leur rêve de grande nation. Les plus vieux ont fait le Vietnam, les plus jeunes l'Afghanistan... Terrible partition intérieure que ceux qui n'ont d'autres solutions économiques que de servir dans l'armée qui a anéanti leur peuple...

    Ne sont pas sur le sentier de la guerre, ni sur les chemins d'une renaissance spirituelle, juste sur la dernière piste de la survie. Terrible solitude, à chaque étape l'accueil est des plus maigrelets, point de festivités préparées, tout juste si l'on n'a pas mis la clef des salles de fête sous une pierre à côté de la porte, parfois l'on a même oublié de mettre le chauffage en marche... Remarquez que souvent il vaut mieux être seul que mal accompagné, le Père Noël qui offre des cadeaux de plastique aux enfants en parlant du bon dieu chrétien devrait plutôt être attaché au poteau de torture, mais vous savez dans la vie faute de merle l'on a la merde, et l'on avale les couleuvres toute crues...

    Adultes nostalgiques qui faute de mieux devant les voies sans issues du présent essaient sans trop y croire de revenir sur les herbages sacrés du passé, enfants entre deux mondes, l'un qui n'est plus et l'autre qui n'est pas pour eux, seuls les poneys indomptables sont restés fidèles à eux-mêmes, vous mangent dans la main dès que les tambours de guerre battent en sourdine... modernité, désillusion et déshérence, le visage d'un gamin s'illumine et un homme à la prestance de chef de guerre passe silencieux parmi les siens... les feux du retour ne s'éteignent jamais tout à fait dans le cœur des vaincus.

    Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir.

    Damie Chad.